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CELTIC FROST (ch) - Into The Pandemonium (1987)






Label : Noise Records
Sortie du Scud : novembre 1987
Pays : Suisse
Genre : Thrash Metal
Type : Album
Playtime : 12 Titres - 48 Mins





Après avoir publié coup sur coup un mini album qui fit date dans l’histoire du Metal extrême, un premier album rageur et sombre sous un nouveau patronyme, et avoir dynamité les conventions avec un chef d’œuvre dont certains ne se sont pas encore remis, il eut été légitime que Thomas Gabriel Warrior marque une pause dans son avancée folle vers la légende. Mais c’eut été mal connaître le bonhomme, qui ne tolère de limites que celles de son imagination.
Alors bien sur, beaucoup de fans du FROST (et ils étaient de plus en plus nombreux…) spéculaient et glosaient sur le successeur du tant estimé To Mega Therion, certains pariant sur une assise d’un répertoire déjà bien rodé, d’autres préférant croire que l’esprit d’expérimentation allait prendre le pas sur le besoin de sécurité.
Il fallut attendre deux longues années pour se faire une opinion. Et celle-ci allait être tranchée, très.
Evidemment, tous ceux qui avaient bien tendu l’oreille deux ans auparavant avaient remarqué les premiers signes d’un changement qui ne pouvait n’être qu’une humeur de la part de Tom, mais la plupart avaient préféré s’arrêter sur la case « je n’ai rien remarqué », et continuaient à penser que CELTIC FROST allait nous proposer des resucées plus ou moins habiles de « Into The Crypts Of Rays », « The Usurper » ou « Circle Of The Tyrants ».
Into the Pandemonium en contenait, certes. Mais bien cachées, et en petit nombre.
Le reste ?
Un creuset d’innovations qui en ont perdu plus d’un au passage.
Il faut bien sur replacer le contexte. En 1987, la planète Hard Rock N’ Heavy avait subi bien des secousses de la part de groupes majeurs et d’outsiders affamés. Le Hard FM explosait derrière le sourire ultrabrite de BON JOVI, AEROSMITH revenait en grandes pompes, GUNS N’ROSES réanimait le spectre d’un Rock débridé et rebelle, SLAYER avait poussé le Thrash jusque dans ses derniers retranchements, et on sentait déjà le Death pointer le bout de son nez, autant qu’on devinait que METALLICA allait devenir énorme.
La fusion n’existait que dans l’esprit de certains fans des BEASTIE BOYS, et le conformisme était encore sacrément de mise.
Alors lorsque Tom osa balancer à la face d’un monde incrédule un mélange de Thrash poisseux, de classique précieux, de progressif douteux, voire de Dance foireux, tout le monde ouvrit la bouche en grand, les yeux écarquillés, se demandant s’il n’avait pas perdu la tête.
Même sa maison de disque fit le forcing pour que le trio enregistre un bon album de Thrash grossier, beaucoup plus facile à vendre en grande quantité.
Mais Tom n’en avait cure. Le FROST de 1987 avait de nouvelles choses à dire, et il allait les clamer bien haut.
Et le paradoxe fut que cette preuve de liberté et d’indépendance fut la plus grosse erreur de parcours des suisses, qui n’allaient jamais s’en remettre.
Il est vrai que commencer par une reprise du WALL OF VOODOO de Stan Ridgway, même métallisée, était un pari difficile à gagner.
« Mexican Radio » fait pourtant partie des titres les plus abordables pour les plus puristes du following de CELTIC. Mais le son très clair, la voix de Tom, très médium et écorchée, et ce tempo groovy, ça partait plutôt mal pour beaucoup de monde. Sans compter les chœurs « voix de canard » qui n’arrangeaient pas les choses, et surtout, ce son de guitare « propre »…
Alors lorsque l’aiguille du diamant glissa soudain sur « Mesmerized », des poils de bras ont du se lever à l’unisson…Un riff mélodique, un tempo médium, encore, des arpèges, des coups de grosse caisse aériens, et surtout…la voix de Tom, plaintive, à la limite de la lamentation, des soupirs, des murmures, sur fond de voix féminine éthérée… Une hérésie que personne ne pouvait ranger dans une petite case, et pourtant, quel courage d’avoir osé proposé ça à des meutes hardantes sans cesse assoiffées de plus de décibels bruts et de licks facilement assimilables… Mais nul n’était encore au bout de ses peines…
« Inner Sanctum », c’était un peu la bouée d’espoir pour les fans hardcore du trio, le seul morceau, ou presque, à les ramener à l’époque bénie de HELLHAMMER. Un morceau simple, brut, sombre, où Tom grogne enfin comme il aurait toujours du le faire. Le fait que certaines parties du texte furent empruntées à Emilie Brontë aurait du pourtant les mettre sur la voie… Mais se raccrocher à cet espoir dérisoire eut été une folie, car s’il y a un concept qui animait le FROST plus que tout au monde cette année là, et sur cet album, c’était la surprise, dite « douche froide ».
Et il n’y avait rien d’étonnant à ce que le groupe nous prenne immédiatement à contre-pied, et de quelle manière…
« Tristesses de la Lune » à du être le morceau, avec « One In Their Pride » que nous verront plus tard, qui a le plus cristallisé la haine du public. Sans vergogne, et sans remords, Tom offre en pâture à ses fans un poème de Baudelaire sobrement accompagné d’arrangements de cordes classiques, sans autre rythmique que les violons. Des vers égrenés d’une voix tragique par Manü Moan, du combo Dark Wave THE VYLLIES, jouant plus un rôle que se cantonnant au simple statut de vocaliste, des rimes romantiques et cruelles à cent lieues d’un univers simpliste et barbare, le tout sans paraître ridicule ou grotesque, il n’y avait que le FROST pour transformer l’essai.
« Babylon Fell », en fin de face A est une fois de plus un moyen ultime et pervers de perdre l’auditeur dans les méandres d’un cerveau fertile mais sadique. Et si Warrior n’omet pas de moduler sa voix pour une fois de plus dérouter, c’est uniquement par esprit de contradiction et de frustration. Car si le fond du morceau est strictement classique de l’esprit du Suisse, sa forme est bien sur modulée pour s’adapter à l’environnement ambiant.
Après avoir crié à la trahison, avoir sué à grosses gouttes, ceux qui ont trouvé le courage de retourner le vinyle sans le jeter par la fenêtre n’ont pas du regretter leur choix, même si celui-ci allait s’avérer douloureux de prime abord.
Car en guise de cadeau de fidélité, ils se virent offrir un titre qui synthétisait toutes les nouvelles idées du groupe. Et après une intro délicieusement arabisante, les complaintes de Tom sur fond de riff pataud et de rythme plombé reprirent leur droit, habilement entrecoupées de furieuses remontées Heavy, créant de fait un nouveau décalage difficile à avaler. Sorte de mélange diabolique entre « Inner Sanctum » et « Mesmerized », « Caress Into Oblivion » caressait encore une fois dans le sens contraire du poil. Mais quel morceau pourtant…
Et cette fois ci, bien décidé à saper toute velléité de raccrochement à un passé plus franc, CELTIC FROST nous faisait gober telle une pilule fatale le toujours très incompris « One In Their Pride », sorte de faux instrumental technoïde, des années avant MINISTRY ou les YOUNG GODS. Avec sa boîte à rythme froide comme un hiver nordique, Warrior adapte à son tempérament le legs de titres comme « Danse Macabre » ou « Tear’s In A Prophet’s Dream », et modernise le vieux concept de l’absence de vocalises tout en le radicalisant. Tout le monde à ce moment là a jeté l’éponge et l’album avec…
Même le riff de « I Won’t Dance » ne pouvait plus rassurer personne. Alors, en vocaliste unique et irritant, Tom reprend son ton énamouré, avant de sombrer lors d’un pré chorus soutenu par des chœurs féminin, annonçant lui-même un refrain quasi Pop. Le type même de titre poil à gratter qui agaçait quasiment tout le monde. Pourtant, c’est une des plus grandes réussites de l’album, sans hésiter. Ces échos de guitare diffus en arrière plan, cette batterie en pulsation constante, cette basse grondante et pesante furent les composantes inhérentes au but qu’il fallait atteindre, et qui le fut.
Et les esprits chagrins et conservateurs n’eurent décidemment pas grand-chose à quoi se raccrocher sur cette seconde face, puisque « Sorrows of the Moon » reprenait la même recette que « Tristesse de la Lune », dont il fut le pendant métallique et anglophone…
Alors histoire d’emmener les âmes damnées jusqu’au bout du calvaire, « Rex Irae (Requiem) » acheva les derniers survivants, avec sa structure complexe et son chant déliquescent accompagné de litanies féminines classiques. Sorte d’opéra maudit, ce morceau était en fait la première partie d’un triptyque qui ne trouva sa fin qu’à l’occasion de Monotheist, bien des années plus tard, sans avoir jamais dévoilé sa partie centrale, ce qui ne fait qu’ajouter à l’aura de mystère… Représentatif à outrance de la nouvelle direction musicale du groupe, j’ai toujours vu dans ce requiem un pendant maléfique du « Suite Sister Mary » de QUEENSRYCHE, nimbé de stupre et de souffrance intérieure, comme si Thomas expurgeait enfin ce qui l’étouffait depuis trop longtemps.
L’outro « Oriental Masquerade », prolongement logique du morceau précédent, refermait lourdement les portes d’un temple maudit, que bon nombre regrettaient d’avoir un jour ouvert…

Into The Pandemonium fut timidement défendu par une certaine frange de la presse, alors que les journalistes l’ayant chroniqué avaient du eux-mêmes se trouver dépassés par les ambitions artistiques de l’œuvre. Soyons honnêtes, et rendons à cet album tous les hommages qui lui sont dus. En 1987, personne n’était prêt pour un ensemble aussi avant-gardiste, malgré les multiples avertissements donnés lors d’interviews par Tom lui-même. Personne ne pouvait croire que les Suisses étaient capables de s’écarter d’une recette ayant fait leur succès, et construit leur légende. A l’époque, la prise de risques n’était pas forcément payante. Et pour un Somewhere In Time qui passait la rampe, c’est un Turbo qui s’y retrouvait coincé, alors, CELTIC FROST, vous pensez bien… Pourtant, dès le départ de l’aventure, le leader aux yeux charbonneux nous avait bien prévenu de ses intentions. Il nous avait bien dit qu’HELLHAMMER n’était qu’un accident du à une technique approximative et non adaptée à ses leitmotivs.
Je défie quiconque de me trouver une poignée d’autres albums aussi aventureux sortis approximativement à la même époque. Je défie quiconque de me présenter un musicien ayant à ce point digéré des influences contradictoires et les avoir transformé en ballet de l’étrange et de l’absurde. On peut évidemment ne pas aimer cet album, c’est un droit. Mais le descendre sous prétexte qu’on ne l’a pas compris est intolérable. Ce serait condamner par contumace le droit atavique à la différence, le droit d’exprimer son ressenti d’une manière un peu plus sophistiquée et complexe que la moyenne.
Las, cet album fut aussi une épitaphe soignée, et la tournée désastreuse qui s’ensuivit acheva l’espoir de Tom de continuer son grand œuvre. Lâché par des musiciens insatisfaits, il fera imploser le FROST, et se mura dans le silence. Au point que l’on crut ne jamais plus entendre ses complaintes venues des ténèbres.

Nous avions tort.

Et au vu de l’album suivant, nous aurions préféré.

Discographie Complète de Celtic Frost :
Morbid Tales / Emperor's Return (Album - 1984), To Mega Therion (Album - 1985), Into The Pandemonium (Album - 1987), Cold Lake (Album - 1988), Vanity/Nemesis (Album - 1990), Parched With Thirst Am I And Dying (Best-Of - 1992), Monotheist (Album - 2006)
Metal Impact Bonus :
HELLHAMMER (ch) - Apocalyptic Raids (EP - 1984), HELLHAMMER (ch) - Demon Entrails (Best-Of - 2008), Order of The Tyrants (Tribute - 2003)



Ajouté :  Mercredi 04 Mai 2011
Chroniqueur :  Mortne2001
Score :
Lien en relation:  Celtic Frost Website
Hits: 15082
  
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