Les batailles juridiques visant à attribuer à un (des) musicien(s) la paternité d’un groupe aboutissent parfois à des situations grotesques. On se souvient du duel Valor/Rozz Williams pour CHRISTIAN DEATH, ou les deux YES (YesEast et YesWest) qui s’affrontèrent à grands coups de guitares progressives.
La même absurdité vient de frapper notre petit monde du Hard Rock. Après l’affrontement entre Geoff Tate et les autres membres du groupe suite au limogeage de sa femme et sa belle fille du management et du fan club (Remember SEPULTURA ?), QUEENSRYCHE s’est finalement scindé en deux puisque incapable de remédier à la situation. Et comme la cour a autorisé les deux factions à utiliser le nom du groupe jusqu’au prochain jugement, nous voici en présence de deux incarnations d’une même entité.

Choisissez votre camp. D’un côté, le RYCHE de Tate et Gray, de l’autre celui de Wilton, Rockenfield, et Jackson. Deux joyaux pour le prix d’un ?
Rien n’est moins sur.
Ensemble, ces musiciens ont accouché d’albums acclamés par le public et la critique, devenus de véritables classiques, mais aussi d’œuvres plus controversées, voir haïes. Leurs dernières productions ensemble sont loin d’avoir fait l’unanimité, et on peut même affirmer que leur dernier boulot en commun a presque rebuté tout le monde. Faisant fi du passé, oubliant la puissance, le lyrisme, Dedicated To Chaos a essuyé une volée de bois vert en restant sur un mode mineur, et a éloigné bien des fans de leur groupe de prédilection. A part moi, et sans doute quelques autres.
Mais je dois avouer que la situation dans laquelle se trouve le groupe me rend perplexe. Qui va bénéficier de ce dédoublement incongru ? Les fans ? Pas sur qu’ils trouvent la blague drôle. Le(s) groupe(s) ? Pas sur non plus que leur audience choisissent un camp plutôt qu’un autre.
Et ça n’est pas Frequency Unknown qui va leur permettre de se faire un avis tranché, parce qu’une fois de plus, la nuance est maîtresse et Tate s’amuse à noyer le poisson comme il l’avait fait sur son effort précédent.

Soyons clair. Si vous n’avez aimé ni Dedicated To Chaos, ni American Soldier, et qu’Empire et Mindcrime sont pour vous les dernières traces de vie du RYCHE, vous n’allez pas aimer ce Frequency Unknown. Il n’a ni la perfection du premier, ni la flamboyance du second. Il n’a pas non plus le sens de l’aventure synthétique que possédait Rage For Order, ni la prise de risque de Q2K ou Hear In The Now Frontier. Il est, si la formule ne vous choque pas, un genre de mainstream Metal, privilégiant les guitares saturées certes, mais bien polies (dans les deux sens du terme), les arrangements sobres, les mid tempo, et – comble du comble – offre un chant posé, aux intonations presque timides. Et surtout, il n’essaie pas. Ne tente rien, reste dans des chemins balisés. Le comble pour un groupe comme QUEENSRYCHE qui a toujours préféré se casser la gueule en osant des choses plutôt que de rester au milieu de la route en se demandant quoi faire.
Alors on s’interroge…Pourquoi un tel album ? Pour marquer le coup ? Faire une pause ? Attendre le jugement de la cour ? Contrecarrer les plans de ses anciens comparses en court-circuitant leur propre album ? Je me perds en conjectures, mais je trouve ça vraiment dommage en tout cas.

En étant honnête, je dois dire que Frequency Unknown n’est pas un mauvais album. Les chansons tiennent la route, sont impeccablement interprétées, le son (pourtant le mixage a été une sacrée affaire, au point de proposer aux fans deux pressages différents en cas d’insatisfaction…) est globalement correct, malgré des guitares un peu faiblardes parfois, mais une basse gironde et séduisante…Alors, pourquoi ? Pourquoi cette déception ?
Parce qu’après l’écoute répétée des dix titres, rien ne se passe. Je suis incapable de dire quoi que ce soit. Je n’ai retenu aucun titre fort, et aucun titre faible. Car mis à part l’ouverture/single « Cold », son riff d’intro trapu et son refrain accrocheur, et le final « Weight Of The World », tendu, progressif et envoûtant, rien. Entre les deux, le désert créatif, le vide affectif, la déception.

Dedicated To Chaos, c’était « C’est comme ça, prenez ou allez vous faire voir ». Son côté digital Pop était séduisant, pour peu qu’on fut sensible à ce genre d’expérimentation. Mais surtout, il sortait des balises, osait. Ici, Tate n’ose rien. Il reste dans le champ du Hard Rock moderne de base, pioche dans le répertoire passé du groupe pour assurer le minimum syndical, et se casse. Pas très classe Geoff…
En parlant du répertoire passé, abordons brièvement le cas des classiques réenregistrés pour l’occasion. Et encore une fois, la question reste la même. Pourquoi faire ? Dans le meilleur des cas, ces relectures n’offrent pas grand-chose, et se contentent de reprendre à la croche avec le même son les originaux, et dans le pire, ça donne un « Empire » pathétique, presque lo-fi, qui donne la nausée… Ca ressemble à un pauvre tribute joué par des groupes de troisième zone qui n’ont rien pigé à la démarche d’origine. Triste.

J’ai toujours aimé et défendu ce groupe. Dans les colonnes de Metal Impact, je suis certainement le seul d’ailleurs. Mais il arrive un moment ou l’amour doit céder la place à l’objectivité. Et ce moment est arrivé.
Signé par un groupe anonyme, Frequency Unknown ne serait qu’un disque quelconque, qu’on écouterait et oublierait rapidement. Sans faux pas, mais sans gloire.
Avec le glorieux nom de QUEENSRYCHE posé sur sa pochette, ça devient une catastrophe, un aveu d’impuissance. Presque le croquis d’une porte de sortie qu’on espère empruntée rapidement par les musiciens.
Un homme peut quitter sa femme pour cause d’adultère, d’incompatibilité de caractère, d’affrontements répétés et terribles.
Il peut aussi la quitter parce que la flamme s’est éteinte, et que plus rien n’arrive, ni de bon, ni de mauvais.

Et je suis consterné et triste de dire que sur cet album, il ne se passe rien.

Ni de bon, ni de mauvais.