On ne pouvait pas. On ne pouvait pas avoir dans nos pages Paul Gilbert, Steve Lukather, Steve Vai, Jerry Lee Lewis, Ritchie Blackmore ou Satch et ne pas avoir Ted Nugent. On ne pouvait pas s'extasier des heures sur leurs apports respectifs au monde du Rock et du Hard Rock et passer sous silence l'œuvre controversée de Théodore Anthony Nugent. J'imagine que ce serait un bon gros lieu-commun si j'affirmais d'emblée que sous cette dégaine de shérif mal vissé se cache l'Américain de base, pas vrai ? Pourtant, tout au long de sa riche et extravagante carrière, Ted n'a jamais rien fait pour relativiser ses excès d'engagements, non pas musicaux mais idéologiques. Conservateur, fermement positionné contre l'usage de drogues et l'abus d'alcool, défenseur de la tristement médiatique National Rifle Association (NRA) et de la peine de mort, favorable au port d'arme et au droit le chasse, détracteur à ses heures de Barack Obama, le bonhomme ne semble plus vraiment coller à la définition qu'on se fait d'une société modernisée. Et si aujourd'hui, son nom évoque toujours un grand musicien et un grand guitariste, c'est que la musique a encore ce don de reléguer les débats, les scandales, les phrases choc là où elles doivent être. Dans l'ombre d'un riff.

J'aurais pu vous parler du Free For All de 1976, du Cat Scratch Fever de 1977 ou du Scream Dream de 1980 mais voyez-vous, ce live enregistré dans l'intimité du coupe-gorge michiganais, au Palace Of Auburn Hills de Detroit, sa ville natale, m'a été chaleureusement recommandé par un fin connaisseur des standards du Rock dont je crois volontiers l'expérience. Ted Nugent ne s'est d'ailleurs pas privé de vendre son live. Sans rajouts studios, sans retouches, sans passer par l'étape de l'overdubbing, de l'auto-tune, ce Full Bluntal Nugity est un concentré de Hard Rock épuré, brutal, cru, zéro bullshit et zéro calories, sauf celles qu'on brûle en tapant du pied sur les incontournables "Stranglehold", "Great White Buffalo" ou la mythique "Cat Scratch Fever". L'implication scénique d'Uncle Ted, son jeu nerveux et pachydermique, son sens du spectacle transpire des parois d'une œuvre qui stimule l'imagination. On aurait aimé être sur place pour le voir interpréter "Fred Bear" en acoustique, applaudir son "Yank Me, Crank Me" groovy à souhait, s'amuser de le voir débouler sur un buffle et s'enthousiasmer avec nostalgie sur le solo interminable de "Motorcity Madhouse" qui clôt le concert. En termes de performance, ce live est astucieux car il ne se savoure pas de la même façon qu'un live qui trempe dans l'esprit du best-of. On redécouvre ainsi un "Snakeskin Cowboys" dont le riff pétillant évoque curieusement un "Cat Scratch Fever" avant l'heure ou un "Paralyzed" plus affiné et stéroïdé que sur la version studio du State Of Shock de 1979. Seul regret, l'absence remarquée de "Wango Tango", l'un des tubes de Scream Dream ou du "Journey To The Center Of The Mind" qui l'a révélé du temps où il performait encore avec THE AMBOY DUKES. Pour le reste, ce live témoigne d'une prestation millimétrée, calibrée et enthousiasmante, rehaussée par la complicité qui lie Sweaty Teddy avec ses deux compères, Tommy Aldridge, batteur pour notamment THIN LIZZY, OZZY OSBOURNE et WHITESNAKE ainsi que Marco Mendoza qui a œuvré à la basse pour la même clique ainsi que pour David Coverdale et un certain... Roch Voisine !

Authentique et rustre, loyal et conservateur, débarrassé du poids des fioritures comme on se débarrasse avec satisfaction d'une belle-mère un peu trop présente, Full Bluntal Nugity est finalement à l'image de son géniteur : 100% Rock N' Roll, 100% intègre et Dieu sait qu'avec un musicien (et pas un politique) émérite comme l'est Ted Nugent, on ne peut que passer moment pittoresque. A chacun la liberté d'y voir son rêve américain.