MOONSPELL (pt) - Extinct (2015)
Label : Napalm Records
Sortie du Scud : 6 mars 2015
Pays : Portugal
Genre : Gothic / Dark Metal
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 45 Mins
Depuis vingt ans, MOONSPELL fait partie de ces groupes d'anthologie que l'on attend au tournant, les crocs à découvert et ruisselant d'envie. De par la longévité du combo qui l'anime, la musique MOONSPELL est de celles qui font partie de notre intimité, celles avec lesquelles on a parfois l'impression d'avoir tout vécu. Ce qui, hélas, décuple chaque fois nos attentes, que dis-je ?, les fantasmes qu'elle nourrit.
Trois années rituelles s'étant écoulées depuis le dernier double album de MOONSPELL (Alpha Noir / Omega White), la meute de Fernando Ribeiro s'est réveillée pour célébrer la sortie de l'hiver avec un nouvel opus... dont on espérait toutefois qu'il ne soit pas trop fleuri. Heureusement, le premier contact avec l'objet en question est plutôt rassurant : la jaquette, qui porte une fois encore la marque de Seth (le chanteur et artisan de SEPTICFLESH) nous plonge sèchement dans un bain glacé, embaumant d'une atmosphère délicieusement sordide l'esprit de l'auditeur dévoré par la curiosité. Marqué du signe de la Bête, apparaît un buste de femme grignoté par on ne sait quel démon, mais dont le squelette plane comme une macabre auréole derrière le personnage, dans une variante de l'artwork. Celui-ci tranche ainsi avec les corps charnus d'Alpha Noir / Omega White (2012), autant qu'il rappelle de façon inquiétante la ténébreuse madone qui trônait en couverture de Night Eternal (2008). A première vue, on n'est pas loin de se trouver face à l'affiche du dernier Saw, tant l'image de ce corps en décomposition, émaillé par des inscriptions stylisées dans des tons gris cliniques et métalliques, rappelle l'univers de la série de films créée par James Wan et Leigh Whannell.
A l'instar des puzzles du Jigsaw, Extinct ne tarde d'ailleurs pas à égarer son public dans un espace inconfortable. Ainsi que l'indique le titre de l'album, MOONSPELL serait-il, comme le tueur au puzzle, en phase terminale ? L'idée me traverse comme un frisson d'horreur tandis que je retiens mon souffle en entendant résonner "Breathe (Until We Are No More)". Loin des coups de fouet d'"Axis Mundi" ou de "At Tragic Heights" qui, successivement, défonçaient les portes d'Alpha Noir / Omega White et de Night Eternal, l'ouverture d'Extinct semble assez timide. Sans aucun doute, le son est pourtant bien équilibré : un beau crescendo en growl s'efforce de donner le ton, et des orchestrations aux mélodies orientales soutiennent l'alternance régulière de couplets en voix claire et d'un refrain nettement plus Dark. Mais comme dans la salle de bains du premier Saw, ces arrangements seraient-ils trop propres pour être honnêtes ?
Le son d'Extinct peine en effet à décoller, et l'on regrette de regarder de loin ce MOONSPELL qui s'agite sous la Lune sans parvenir à nous faire s'envoler jusqu'à elle. Le morceau éponyme, qui devait servir de vitrine à cette nouvelle collection, a tout du "tube" pensé pour la radio. Mais où sont donc passés les hurlements sauvages des loups et les obscures psalmodies qui font tout le charme des sortilèges de MOONSPELL ? Même équilibre, même alternance des voix, même régularité que dans "Breathe", et toujours demeure l'impression que cette prise de risque minimale empêche le basculement tant attendu... Vient alors "Medusalem", dont le titre prometteur laisse à entendre à la fois le souvenir de la terrible Méduse (dont le spectre plane d'ailleurs dans le texte de "Malignia") et celui de la ville mythique des sorcières, autant qu'il fait écho à la descendance maudite de Caïn : sous le patronage de son héritier Mathusalem, qui dépassa de sa longévité légendaire tous les autres personnages de l'Ancien Testament, MOONSPELL espère-t-il inscrire ce troisième titre dans une implacable postérité ? Certes, le morceau peut se targuer de riffs efficaces, d'un bon rythme et d'un solo orientaliste qui lui donnent une vraie couleur ; mais une fois encore, le prêche manque de dévotion, peut-être du fait que les arrangements symphoniques semblent assez artificiels.
Même constat au sujet de "Domina", petite balade à la musicalité agréable, mais où le beau solo de guitare et les choeurs peinent à conférer une vraie profondeur à des mélodies dont l'agencement manque de naturel. Aussitôt après cette petite pause fluette, les riffs de "The Last of Us" réveillent heureusement nos âmes alanguies : les guitares s'excitent à nouveau, les breaks impriment un rythme intéressant, et le refrain s'impose avec une efficacité redoutable. Dans la même veine, "Dying Breed" permet aux cordes de retrouver leur place : de bons riffs, un bon solo, un Fernando plus énergique donnent du relief à cette jolie partition. Mais une fois encore, les arrangements symphoniques qui devraient faire s'envoler le tout lui ôtent au final une part de sa puissance. Trop propres ou trop réfléchis, ces interludes empêchent finalement le morceau de déployer ses ailes tout en prouvant cependant combien les lusitaniens maîtrisent (trop ?) l'art de la rythmique.
A ce stade, l'on comprend ainsi que le problème majeur d'Extinct est d'être moins une œuvre d'art qu'un produit industriel : l'album se tient, il est joli, il sonne juste et suffira à satisfaire les amateurs les moins exigeants. Mais le disque semble davantage sorti d'une usine que de l'atelier d'un génial inventeur. Résolument laborieux, l'ensemble manque globalement de spontanéité, de cette magie folle qui nous fait tellement aimer MOONSPELL. Trop pragmatique, le dernier-né des portugais ne manque pourtant pas de ressources : parfaitement maîtrisé, hétérogène et étonnant, Extinct passe près d'être une excellente galette, avec ses riffs mélodieux et ses leads efficaces. Mais l'on sent trop que le son pseudo-gothique qui en résulte cherche à tout prix l'efficacité, au risque de tomber dans la banalité. De fait, les envolées proposées par la quintette portugaise manquent d'audace, ce qu'illustre bien un morceau comme "The Future is Dark" : la rythmique, assez élémentaire, peine ici à soutenir un refrain séduisant, mais desservi par des orchestrations falotes que le mugissement traînant des guitares ne parvient pas toujours à compenser.
Au final, si toutes les pistes d'Extinct ne se valent pas, trois d'entre elles semblent se détacher, par leur originalité ou par leur pertinence. "Funeral Bloom" présente, comme "The Future is Dark" et "Breathe" une résonance électro, mais celle-ci donne à cet ensemble une énergie remarquable. La structure de cette belle rondelle est d'ailleurs impeccable : de bons growls bien placés et quelques leads saillants nourrissent une dynamique efficace basée sur un joli crescendo. Suivant le même principe de composition, le texte convoque d'ailleurs de puissantes images qui, elles aussi, se superposent sans se piétiner. Dans un autre registre, "Malignia" s'impose peut-être comme la part la plus savoureuse du gâteau. Là, enfin, se mêlent divers ingrédients sans jamais faire de grumeaux : l'esprit électro à l'arrière-plan n'est aucunement contrarié par les orchestrations, et Fernando s'y laisse (enfin) aller au rythme de riffs plus lourds et plus solides. Habile et méchamment efficace, "Malignia" a ce je-ne-sais-quoi d'envoûtant qui fait toute la grâce de MOONSPELL. Enfin, "La Baphomette", reste probablement le titre le plus surprenant inscrit sur la partition. Dans une ambiance feutrée, la balade ne défonce certes pas le mur du son, mais elle enferme l'auditeur dans une boîte à musique agréablement désuète. Surtout, "La Baphomette" se démarque par sa simplicité (cette fois) pleinement revendiquée. Très épuré, le texte prend tout son sens grâce à des mélodies délicates, servies par l'accent tout aussi chaudement inquiétant de Fernando. En guise d'épilogue, le sorcier de MOONSPELL entraîne ainsi son public dans une suave fantasmagorie, en lui murmurant de douces incantations qui lui feraient presque oublier (si elles ne les lui rappelaient pas) le caractère inégal de sa dernière réalisation.
Ce disque reste en effet assez décevant, mais en accord avec son titre (en latin, comprenez qu'il s'agit du geste d'"éteindre un incendie"). Trop peu "instinctives", les flammes d'Extinct ne suffisent pas à réchauffer le cœur des inconditionnels du combo portugais. Pourtant, le retour en force du chant clair sur cet opus ne va pas sans évoquer l'atmosphère des premiers MOONSPELL, comme Sin / Pecado (1998). Voyant le souffle menacer de s'éteindre, le groupe chercherait-il à revenir aux sources de son génie pour se donner une nouvelle impulsion ? Ce qui est sûr, c'est qu'à la fin de l'écoute, trop de questions se forment et restent sans réponse...
Pourquoi les loups ont-ils cessé de hurler ?
La lune ne sera-t-elle plus jamais pleine ?
Croix retournée et cierges allumés, ne reste donc plus qu'à prier pour que le prochain puzzle du tueur Fernando et de sa meute soit autrement plus violent, autrement plus saignant...
Quitte à s'y écorcher ou à s'y perdre, selon la loi du Jigsaw.
Discographie Complète de MOONSPELL :
Wolfheart (Album - 1995),
Irreligious (Album - 1996),
Sin Pecado (Album - 1998),
The Butterfly Effect (Album - 1999),
Darkness And Hope (Album - 2001),
The Antidote (Album - 2003),
Memorial (Album - 2006),
Under Satanae (Album - 2007),
Night Eternal (Album - 2008),
Lusitanian Metal (DVD - 2008),
Alpha Noir/Omega White (Album - 2012),
Extinct (Album - 2015)
Ajouté : Lundi 20 Avril 2015 Chroniqueur : Istaria Score : Lien en relation: Moonspell Website Hits: 6890
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