Pochette noir et blanc énigmatique, style confus, difficulté de trouver des infos, c'est le genre de défi qui me plaît un samedi après midi.
Alors on retourne aux USA après l'Australie et la Belgique, direction Philadelphie, PA, "La ville de l'amour fraternel".
Mais en écoutant ce premier single de BLANK SPELL, l'amour fraternel n'est pas la première chose à laquelle je pense. Il fait suite à une première démo enregistrée l'année dernière, et s'impose comme une sacrée découverte dans le monde si cloisonné du Darkcore.

Darkcore... Qu'est-ce donc ? Simple, une excroissance du Hardcore, pas forcément localisée à Philadelphie d'ailleurs, qui utilise les codes du Post Punk, du Dark Punk et les intègre au Hardcore pour le rendre plus sombre et nihiliste.
L'attitude et le son général de BLANK SPELL en sont d'ailleurs emprunts. Comme ils sont définitivement marqués par l'éthique Punk, qui ne s'embarrasse pas de codes, de respect des règles ou de quoi que ce soit du même genre. Ce 7'' va vite, frappe fort, et le doit surtout à son leader, qui est en fait une femme. Car si Aaron (batterie) et Jake (basse) forment à eux deux une assise rythmique solide, avouons sans hésiter que c'est Cassidy (Guitare-Chant) qui occupe le devant de la scène et captive l'attention.

La demoiselle injecte une folie incroyable dans ses vocaux, au point de sonner parfois comme l'hystérique/futuriste Nic Endo des bruitistes digitaux allemands d'ATARI TEENAGE RIOT. Ses lignes hurlées sont intenses, investies, exhalent un parfum brûlé de révolte constante, et transcendent des morceaux déjà suffisamment riches pour s'en retrouver encore plus prenants. Mais en sus, Cassidy tisse des lignes de guitares versatiles, en constante opposition entre des dissonances claires à la BAUHAUS/early CURE/early SISTERS, et les gros riffs à la GBH/EXPLOITED. Et du coup, son groupe se rapproche d'une fusion improbable entre la furie du Punk anglais des années 80, du Hardcore de Boston, du Death Rock gothique, et du Post Punk sec et sans empathie à la WIRE.

Le son global de ce 7'' est parfait. Non qu'il soit d'une qualité incroyable, au contraire, car il garde cette approche amateur qu'on trouvait sur les saillies vinyliques brèves des années 80, mais il a cette façon de mettre la batterie au premier plan qui fascine. Les guitares sont noyées dans le chorus, l'écho et le feedback, tandis que le chant, clairement en retrait, s'époumone encore plus pour se faire entendre. Les cinq morceaux présents sur ce single sont de qualité égale, et cavalent sur un tempo Punk enlevé, se permettant peu de breaks et de cassures. Mais loin de susciter l'ennui, ils forment bout à bout une fascinante symphonie de violence larvée, hypnotique, comme si la rage de ces trois musiciens se propageait dans la pièce sans que vous ne vous en rendiez compte.
Et lorsque le mid tempo s'installe, pour quelques secondes du moins ("Night Mute"), il dynamise la structure de base, et se transforme en force vive qui balaie tout sur son passage.

Ne vous attendez pas à l'écoute de Blank Spell à quelque chose de confortable, de facile. Tout ce qui est présenté ici est viscéral, et nécessite un effort indéniable.
"Worm Envy" en est peut être d'ailleurs le parangon, durant lequel Aaron lâche prise avec la raison et utilise toutes les possibilités offertes par son kit, pendant que Cassidy noie ses riffs sans une rivière de dissonances. Et nos trois amis de terminer leur discours sur un "Proof" lapidaire, qui synthétise en un peu plus d'une minute toute la folie de ce single décidemment hors norme.

Si un collègue écrivant pour un blog US s'est permis de dire que BLANK SPELL se situait dans le peloton de tête des formations Punk/Core de Philadelphie, qui en compte pourtant des centaines, vous pouvez lui faire confiance.
Car à l'écoute de ce disque, vous ne serez sans doute pas à même de donner dans l'amour fraternel, mais vous saurez que vous avez écouté quelque chose de différent.