JUNGBLUTH (de) - Lovecult (2015)
Label : Halo Of Flies Records
Sortie du Scud : 1er septembre 2015
Pays : Allemagne
Genre : Noisy Core
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 28 Mins
"Ce disque ne parle pas seulement d'amour, mais aussi de la commercialisation de plus en plus active de certains secteurs de notre vie quotidienne. Si nous commençons à payer pour nos propres émotions, si les relations que nous entretenons avec notre propre corps et les gens qui nous entourent deviennent un concept fantasmé de ce que nous pouvons acquérir, peut on encore appeler ça de l'amour ?"
C'est un propos terriblement lucide, un constat amer que nous livrent là les allemands de JUNGBLUTH, mais tellement vrai qu'il blesse, provoque, et laisse une profonde réflexion s'installer. Quelle relation entretenons nous avec nous même, nos contemporains, et les relations humaines en général ? Il semblerait que le culte du corps, individualiste, se soit étendu à une compétition globale, où seuls ceux qui se fondent dans la norme ont une chance de réussir.
Les autres ?
Des parias, des outsiders, des losers, des gens bizarres qu'on regarde en coin...
Comme ils l'affirment dans leur dernier morceau, "L'empathie n'est pas une compétition". Et un simple regard jeté sur les commentaires et statuts de réseaux sociaux suffit à se convaincre du contraire... C'est à qui sera le plus compréhensif, qui défendra le plus de causes, qui pleurera avec les larmes les plus chaudes sur la tombe de l'abnégation...
Bullshit.
JUNGBLUTH, plus prosaïquement, est né sur les cendres du groupe mythique ALPINIST. La trame est restée la même, mais les détails ont été développés, et les accents poussés à l'extrême. JUNGBLUTH est plus fort, plus compact, plus diversifié, mais aussi plus enragé. Le trio d'outre Rhin lutte contre les inégalités, le fascisme, l'homophobie, le machisme, mais aussi contre les sentiments factices, les émotions tièdes et à dessein. Pour se faire, ils n'ont pas changé leur fusil d'épaule, et restent Core, jusqu'au bout du jack. Lovecult est leur second LP, et comme le premier, il est disponible gratuitement sur leur Bandcamp, name your price... Généreux ? Oui, sans doute, mais s'ils veulent propager la bonne parole, il n'y a pas moyen plus simple de le faire.
Et le message en question s'accompagne d'une musique de fond riche, dense, puissante. Alors, lorsque la virulence du discours se double d'un fond sonore sans ambiguïté ni digression bavarde et inutile, le but est atteint, et vous concerne directement.
Il est incroyable de constater comment un simple trio peut occuper tout l'espace sonore... La recette ? Laisser respirer chaque instrument, pour qu'au final leur unisson étouffe l'auditeur. Hardcore, Lovecult l'est, mais aussi Metal, Alternatif, déviant, pesant, concentré et massif. Les références semblent aisées, de OATHBREAKER à CODE ORANGE, mais la personnalité des allemands empêche tout rapprochement trop direct. Les concomitances sont certes avouables, mais leur son est tellement abrasif et toxique qu'ils peuvent et doivent exister par eux mêmes.
Guitares en avant, chant scandé d'une voix qui s'égosille ("Lokalkolorit", parangon de l'arrachage de cordes vocales), basse lourde qui s'impose, et batterie qui n'impose pas le rythme, mais s'accorde avec les deux autres voies.
Cassures, mid tempo ravageur, brutales interruptions de la logique rythmique, pont mélodiques, couplets incandescents, JUNGBLUTH étaye son propos, adapte ses morceaux à son credo, et impose en moins de trente minute un pamphlet qui rappelle les débuts du Hardcore Noisy, celui qui se voulait à cheval entre le Rock le plus dru, et les leçons inculquées par Bob Mould,et autres Chris Spencer.
Garder en ligne de mire la mélodie, mais la déconstruire, et la confronter à un traitement sans pitié, laisser les guitares tournoyer autour, le chant la maltraiter, pour en fin de compte la transfigurer et la laisser agonisante en arrière plan.
Pas de chichis, pas de bavardage, le trio va à l'essentiel, et dépasse rarement les trois minutes. Lovecult s'écoute comme un rapport sur les rapports humains, le capitalisme qui les gangrène, et la progression des faits s'accompagne d'une évolution musicale qui s'achève dans une lourde conclusion qui ne laisse planer aucun doute sur le pessimisme réaliste des porte paroles. "Empathy Is Not a Competition" est lourd, lancinant, mais laisse son batteur strier la logique de ses tics, et referme la porte brutalement, comme s'il n'y avait rien d'autre à faire que de constater avec renoncement...
Noisy, Post parfois, Screamo adulte, Punk dans la démarche, mais résolument bouillonnant, Lovecult ne privilégie aucune piste, mais reste compact et cohérent. La colère évidemment, l'envie de revanche, de revenir à des dimensions plus humaines et honnêtes, en utilisant le larsen, l'écho, les riffs directs, et les arguments égrenés d'une voix tendue. Son râpé et sans artifices, logique de composition qui laisse quand même des libertés, arpèges acides, basse frappée qui gronde ("Schrödinger's Katze"), structure presque 90's qui traîne sa misère de choeurs manifestes en déliés de guitare funèbres ("Dead Keys"), tout est là, et le résultat laissera au choix l'auditeur dans une frustration triste ou une envie d'en découdre et de renverser les idées reçues.
"L'amour joue le rôle d'une religion de substitution. Elle prétend pouvoir répondre à toutes les grandes questions et assouvir tous nos besoins émotionnels. C'est l'idéologie qui se cache derrière chaque couple idéal. Et dans notre société centrée sur le couple, il n'y a qu'un concept qui prévaut. Etre la moitié d'un couple."
C'est JUNGBLUTH qui le dit. Mais ils ne sont eux mêmes la moitié de rien. Ou alors celle d'un tout beaucoup plus grand que ce que nous pouvons envisager.
Ajouté : Vendredi 30 Octobre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Jungbluth Website Hits: 5720
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