Des barges dans le monde de la musique, on en connaît des tonnes. Il est même impossible d'en dresser une liste ici, sans même viser une quelconque exhaustivité. Des artistes qui prennent la mélodie à contre pied, et qui refusent les structures conventionnelles, trop restrictives pour s'exprimer. Le Metal n'est pas épargné par ces olibrius trop heureux de déconstruire l'art pour le reconstruire à l'envers ou de guingois, d'une approche dadaïste, stoïciste, avant-gardiste ou je ne sais quoi...
Depuis quelques années, la tendance est au minimalisme. Musical ou formel, il attire les instrumentistes, comme le Bowery avalait les alcooliques comme des mouches. Loin du phénomène hipster, mais plus dans la mouvance Növö Rock, les duo s'accumulent et remplacent les quatuors/quintettes flamboyants d'hier pour plus de risques et de démesure. Et parfois, ils font même plus de bruit.
Les trios ont toujours été une force de frappe dans le domaine Jazz/rythmique. On se souvient bien sur de John Zorn, avec Mick Harris et Bill Laswell, mais on peut aussi aborder le cas de NOMEANSNO, avec les frangins Wright, et même dans un cas hors sujet, pourquoi ne pas parler de Morphine, drivé par son chanteur bassiste à deux cordes (vocales) se plaignant de tons monocordes de l'omniprésence d'un saxophoniste en lieu et place d'un guitariste. Les WHITE STRIPES n'avaient pas besoin de grand monde non plus, guitare et batterie, mais le duo basse/batterie seul est encore un cas extrêmement rare...

Les choses changent, et c'est tant mieux. Depuis quelques années, l'Italie s'enferme dans une expérimentation un peu louche, hybridant le Jazz et le Hardcore, le Post Hardcore, l'avant-garde, et nous donne aujourd'hui un des exemples que nous allons mettre en avant, sous la forme du troisième album d'un duo complètement barré, ZEUS!
ZEUS!, c'est avant tout Luca Cavina (basse, distorsion, hurlements, couinements) et Paolo Mongardi (batterie, et c'est déjà pas mal), duo réuni à Bologne en 2009. Premier album auto intitulé, second Opera sorti en 2013 avec la participation de Justin Pearson de THE LOCUST sur un morceau, puis un troisième en ce mois de septembre 2015, au titre aussi évocateur qu'abscons, Motomonotono.
Outre leur collaboration sous le nom du Dieu grec, les deux compères participent aussi chacun de leur côté à de multiples aventures, au sein de CALIBRO 35, CRAXI, INCIDENT ON SOUTH STREET, FUZZ ORCHESTRA, LE LUCI DELLA CENTRALA ELECTTRICA, et visiblement, aiment à se retrouver pour se replonger dans leur concept rythmique extrême. Qu'en est-il alors de leurs divagations, pour ceux qui seraient complètement étrangers à leur monde unique ?

Et bien tout est dit, c'est unique.

Il est même assez étrange de retrouver cette oeuvre dans le catalogue des très conservateurs Klonosphère, très attachés aux racines Metal, mais c'est une belle preuve de confiance et d'ouverture d'esprit, alors autant le souligner.
Mais le disque lui même, en plus d'être inédit dans sa forme et son fond (mais assez similaire aux deux premiers travaux du duo), est de qualité, bien que TRES difficile d'approche, et je tiens à le préciser. Et tant que nous sommes dans les précisions, je cite le groupe lui même qui en lâche une assez définitive :

"Nous utilisons le minimum pour obtenir le maximum, ce qui veut dire: ni Metal, ni Punk, ni Math, ni Noise, ni prog, encore moins Jazzcore, ni Post quoi que ce soit".

Les choses étant dites, digressons.

Basse, batterie, cris, tout est là, vous n'aurez rien de plus. Larsen, écho, distorsion, bruitages sonores extirpés des instruments mêmes, mais rien de plus. Alors si trois quarts d'heure d'exercice rythmique/bruitiste/groovy ne vous effraient pas, lancez vous dans l'aventure, vous serez comblés. Comme le dit encore une fois ZEUS!, no compromise, et c'est tant mieux.
Sous une production brute et collante de Carlo Zollo se cachent dix morceaux qui ne reculent devant rien, et qui exploitent toutes les possibilités de deux instruments qui d'ordinaire ne servent qu'à soutenir la mélodie. Ici, la basse et la batterie retrouvent enfin la lumière qui leur est due, et en profitent allégrement. Alors le groupe à beau honnir toute catégorisation, certaines choses n'échappent pas au rattachement. Si aucun morceau en soi ne peut être affilié à un style précis, certains passages le peuvent. Et le duo ne manque pas d'humour, comme en témoignent des pistes comme "All You Grind Is Love", une des plus nerveuses du lot, qui se surprend même à développer un semblant de mélodie grondante et qui rappelle en aussi torride et décharné le boucan produit par PAINKILLER ou ZORN en solo.
Mais comme Luca et Paolo ne sont pas des sadiques sans pitié, ils vous aménagent même quelques instants de quiétude, à peine dérangés par quelques arrangements sonores oniriques et graves ("Panta Reich"), qui vous permettent de reprendre votre souffle avant de reprendre l'apnée musicale.

Bien évidemment, le prouesses rythmiques sont légion, comme cette intro impressionnante de syncope Jazz et de régularité sur le bien nommé "Forza Bruta Ram Attack", l'un des plus heurtés de l'album, ou cette non progression métronomique refusant toute agrémentation et montant en pression par le seul jeu des protagonistes qu'ils ont appelé "Krakatoa".
Et si "Colon Hell" affiche une belle thématique qui se rapproche très légèrement du Metal, lâchant même quelques cris que n'aurait pas reniés Patton lui même (et une fois de plus saluant l'univers de John Z.), le long, épique, et "progressif" (ils vont m'en vouloir, je le sens) final "Phase Terminale" achève de dissiper vos dernières attentes, vous qui croyiez que quelque chose allait forcément interrompre la mécanique bien huilée. Certes, cette piste se laisse aller à quelques cassures éthérées, qui occupent en fait tout son centre, mais point de salut hors du schéma bien rodé, et les deux olibrius de revenir dare-dare à leurs préoccupations d'origine, sans les changer d'un iota.
Vous étiez prévenus, ne dites pas le contraire.

Il faut avoir testé auparavant quelques oeuvres sortant des sentiers battus, affectionner le minimalisme et l'expérimentation à outrance, aimer les doux flingués, les barges musicaux pour affronter l'univers de ZEUS! le coeur préparé et calme. On peut ne pas considérer ça comme de la musique, mais c'est aussi ce qu'on disait de THROBBING GRISTLE, de DEVO, des RESIDENTS, et même du VELVET fut un temps, et pourtant, ils sont tous devenus des références majeures. Je ne sais pas si tel sera le cas pour Luca et Paolo, mais ils le mériteraient. Alors, évidemment, si l'aventure se poursuit encore, il sera de bon ton de varier un peu les structures qui se ressemblent un peu, mais gageons que les deux hommes en ont encore dans le pantalon. D'ici là, n'oubliez pas :

Basse, batterie. Et rien d'autre.