Fondé sur les cendres encore fumantes de EILTANK, fameux groupe de Crust Hardcore de Cologne, GRABEN perpétue une certaine tradition du Crustcore allemand, qui au contraire de celui pratiqué par ses homologues suédois, est plus direct, clair et moins ombrageux. D'ailleurs, si les combos nordiques semblent trouver l'essence de leur violence dans la froideur des riffs Death de leur propre héritage, le Crust allemand lui préfère les sonorités découlant du Hardcore et du Thrash national, aboutissant ainsi à un Crosover intéressant entre la démence de DISCHARGE allégée par une bonne dose de riffs Métal 80's/90's.

Certains critiques ont pourtant semblé voir des corrélations entre ce premier LP et l'ambiance envoûtante des deux premiers ENTOMBED, et je ne peux les contredire dans cette affirmation. Mais si de manière générale les tonalités de ce premier LP se rapprochent des ambiances glaciales et POEesque de Clandestine, Graben semble aussi découler de la culture anglaise du Crust, plus véhémente et moins brouillonne.

Ce qui n'empêche pas le groupe de frapper fort, vite, et là où il faut. Leur démo l'année dernière avait suscité beaucoup d'intérêt dans la presse underground, mais aussi chez les fans du genre, et ce premier longue durée confirme avec panache tout le bien qu'on pensait d'eux.
Doté d'une production sèche et nette, qui refuse toute esbroufe, Graben distille dix titres formant un ensemble homogène et suffisamment diversifié pour vous attraper par les burnes du début à la fin. En refusant l'option "dézinguage à tout va", le quintette s'est offert quelques portes de sortie intéressantes, et propose en fait un survol de l'extrême extrêmement pointu, touchant un peu à tout, du Metal le plus abrasif au Crust le plus explosif. Les charges ne sont jamais gratuites mais pensées, et ça tombe parfois dans la lourdeur d'un Sludge qui lui peut à la rigueur se rapprocher de la scène Death scandinave des 90's ("Graben #1"), sans oublier au passage de citer un Street Hardcore hyper teigneux qui fronce les sourcils la bave aux lèvres ("Schuld", genre de Death N'Core efficace et noir comme un avenir anglais des 80's).

Dans leurs interventions les plus concises, les allemands font montre d'une énergie foudroyante ("Grau"), ou au contraire d'une subtilité instrumentale inattendue, comme sur l'intermède "Unheil", qui force une symbiose entre un piano classique, des bruitages d'orages et des riffs purement Thrash. En version longue, les diversions sont souvent lourdes et compactes ("Gemeinsam Untergehen", genre de mariage entre EXTREME NOISE TERROR et EXILE), ou à l'opposé surélevées par un mid tempo rageur et des breaks dynamiques ("Mangel", archétype de Crust N'Roll qui déchire tout).
Chant sourd et rauque, guitares franches ou plus sournoises et rythmique créative et solide, telles sont les armes de ce premier album qui vous cerne de tous les côtés. En refusant le cloisonnement, GRABEN devient difficilement classable et échappe à toutes les étiquettes, privilégiant la haine instrumentale organisée au détriment d'une facilité d'exécution systématique.

Si certains morceaux se calquent délibérément sur la ligne du parti Scandinave du début des nineties ("Böse", d'ailleurs plus Death que Crust ou Hardcore), d'autres au contraire se souviennent des débuts du Crust UK dans une jolie folie douce sous contrôle, tout en faisant tournoyer quelques riffs méchamment Metal ("Falscher Stolz").
Et lorsque le spectre de DOOM resurgit du placard, l'embardée est violente et terrifiante ("Dämonen", genre rencontre d'un soir entre MOTORHEAD et DISCHARGE, tous les chicots en avant).

Somme toute, Graben fait plus que confirmer la qualité de la première démo des allemands. Il offre au groupe une exposition indéniable, et propose pas mal d'idées novatrices même si celles si empruntent au vocabulaire Death et Hardcore scandinave et anglais.
Violent à outrance mais mesuré dans la démence, inventif mais efficace, Graben est avant tout un festival de cohésion qui profite de guitares extra muros pour teinter son Crust de la froideur des ENTOMBED, GRAVE et autres UNLEASHED, et se pose donc en synthèse parfaite de deux orientations extrêmes. Avec en sus de ces qualités déjà primordiales, une constante envie de varier le propos sans dénaturer le fond, c'est un LP qui pendant une demi heure revisite des genres à sa sauce, et ne provoque jamais de lassitude.

On peut être allemand, et ne pas négliger une certaine finesse de composition. En tout cas, voici un répertoire qui va faire beaucoup de mal on stage, et qui sera susceptible de fasciner tout autant les fans de BRUTAL TRUTH que les nostalgiques de la Suède d'il y a vingt cinq ans et des poussières.

Du travail de sape, mais avec des instruments précis.