Après le Reflets et Métamorphoses de Christophe Muller, premier ouvrage sur TOOL paru chez Camion Blanc, notre maison d'édition préférée met sur le marché une autre analyse d'un des plus grands phénomènes du Rock Arty Progressif, cette fois ci écrite par Joel McIver, intitulée Unleashed.
Et quel titre pouvait être plus approprié dans le cas de TOOL, véritable OVNI musical parachuté au milieu d'une époque trouble de transition entre le Métal pur et dur qui régnait sur les charts depuis les mid 80's, et l'alternatif qui allait inonder le marché durant les 90's. Mais à la lecture de ce livre, vous vous rendrez vite compte que ces considérations de mouvances et d'exigences du marché du disque ont toujours été à cent lieues de la philosophie du groupe.
Car TOOL, c'est d'abord une vision, et une philosophie.

Ne le cachons pas, Unleashed est fort bien construit et rédigé. Laissant la part belle aux musiciens et à leurs diverses déclarations - qu'elles concernent l'art en général, l'utilisation des psychotropes comme stimulateurs de créativité, où le business de la musique dans sa globalité et la politique - l'auteur se place de lui même au second plan, et n'hésite pas à rester dans le flou parfois pour préserver cet espèce de mythe que le groupe à consciemment construit autour de son oeuvre. Et le tour de force de cet ouvrage est d'ouvrir des portes et ainsi de révéler des aspects parfois méconnus du quartette, sans toutefois banaliser le groupe et le replacer au niveau de simple gadget commercial ou de gimmick pseudo intellectualisant.
Car TOOL, comme je l'ai dit précédemment, est unique. De par sa musique, si intime et complexe, mais aussi de par sa démarche, ce contrôle total sur leur carrière, ce refus d'imprimer les textes sur les livrets des albums, et ce maniement de l'humour à froid qui peut parfois choquer les âmes sensibles et imperméables à la dérision. Il fallait donc un traitement spécial en adéquation avec le parcours hors norme du groupe.

Ce qui est le cas d'Unleashed. De la formation du quartette aux festivals gigantesques, cadres de performances époustouflantes ou la musique se mêle à l'image, rien n'est oublié. Le style choisi est fluide, et ne tombe jamais dans la fan review stérile, même si les analyses d'albums sont parfois redondantes et trop subjectives. Mais le personnage central de cet ouvrage, plus que le groupe lui même, c'est bien sur l'énigmatique et insaisissable Maynard James Keenan, véritable porte parole décalé d'un concept multimédia. On suit son évolution artistique et humaine avec passion, de l'orée de sa carrière durant laquelle il se cachait derrière un mur de sentiments à demi dévoilés, jusqu'à ses prises de position politiques qu'il a parfois payées cash. La plume de McIver s'adapte donc à la métamorphose du personnage, absconse dans les premiers chapitres, et plus déliée et lumineuse lors des dernières années évoquées. Car de simple chanteur d'un groupe promis au statut de combo culte, Keenan est devenu un homme d'affaires gérant son patrimoine et notamment ses vignobles comme un propriétaire terrien amoureux de son domaine, et multipliant les projets allant de l'exutoire philosophique et musical (A Perfect Circle), à la pochade second degré mais néanmoins pragmatique (Pussyfer et sa ligne de produits déjantés).
De fait, les autres musiciens restent plus dans l'ombre, et doivent souvent se contenter de la marge tandis que Maynard occupe une pleine page. Mais c'est un choix assumé par l'auteur, qui ne plombe jamais la lecture de ce livre, bien au contraire. C'est tout le paradoxe d'une description en opposition avec les concerts du groupe, ou justement Keenan préfère se mettre en retrait au fond de la scène ou en tournant le dos au public, comme un certain Jim M. quarante ans avant lui.

Unleashed est donc un livre qui rend un fort bel hommage à un des groupes les plus fascinants qui soit apparu ces trente dernières années. Ni trop évident, ni trompe l'oeil gratuit, il se lit avec une avidité visuelle et intellectuelle indéniable, et de part sa construction en gigogne, ses lignes ascendantes et déviantes, s'adapte parfaitement au parcours sinueux de TOOL, qui reste une des réussites les plus énigmatiques de la musique dite "alternative" moderne. Ce qui prouve que l'on peut combiner avec aisance et sans compromis une éthique puriste et un succès commercial à grande échelle.