BEHEMOTH (pl) - La Laiterie à Strasbourg (30/10/16)
Groupes Présents au concert : SECRETS OF THE MOON (de), MGLA (pl), BEHEMOTH (pl)
Date du Concert : dimanche 30 octobre 2016
Lieu du Concert : salle La Laiterie (Strasbourg, France)
I believe in Satan
Who rend both heavens and earth
And in the Antichrist
His dearly misbegotten
Ce n'est peut-être pas un hasard si les premières paroles qui me sont venues en tête au moment d'entamer ce live-report furent celles de "Messe Noire", troisième morceau du toujours très controversé The Satanist, dernier opus en date des non-moins controversés polonais de BEHEMOTH. A chaud, moins de 24 heures après la fin du concert, le sentiment qui prédomine sur tous les autres, si tant est que l'on ferme un peu les yeux sur l'aspect "true or not" de la chose, c'est que BEHEMOTH a choisi pour son Europa Blasphemia Tour – Part II (qui succède à la Part I en compagnie d'ABBATH, ENTOMBED A.D, INQUISITION, excusez du peu) de jouer à fond sa carte de la (Grand) Messe Noire, et plutôt à son avantage. Valeur sûre pour les uns, marchands de boniments pseudo-sataniques pour les autres, les polonais dérangent et ont toujours dérangé. Visuellement. Conceptuellement. Artistiquement. Musicalement. Rares sont les têtes chevelues qui n'ont pas un avis tranché sur la bande à Nergal, et alors que ce dernier clamait haut et fort au Hellfest 2014 "it's good to be alive", évoquant sans demi-mesure son combat victorieux contre la leucémie, on trouve toujours à lui faire le procès d'un compte Instagram beaucoup trop garni de selfies pour être digne d'un authentique sataniste. Ou comment enculer les mouches ?
Alors on peut aimer ou ne pas aimer la démarche, l'évolution du groupe, ses composants, ses fusibles, mais il est indéniable que BEHEMOTH suscite toujours autant d'engouement, et ce n'est pas le petit millier de mordus qui se sont massés dans une Laiterie chauffée à blanc un week-end de la Toussaint qui prouvera le contraire. Venu de Paris, d'Allemagne, de Suisse et même de Pologne (!!!), le public a clairement répondu présent pour cette dernière date d'une tournée qui sera passée par Rennes, Toulouse, Lisbonne, Madrid, Barcelone ou encore Lyon.
Il est 16 heures, deux heures avant l'ouverture des portes, j'arrive pépère avec un bon bouquin sur Jack l'Eventreur dans les mains histoire de patienter, et sans surprise, un petit troupeau d'irréductibles Nergaliens a déjà pris possession du trottoir qui borde la salle strasbourgeoise, attendant sagement son heure. Le passage tout récent à l'heure d'hiver n'a manifestement pas entamé les bonnes intentions des vrais fans du groupe, même s'il aura peut-être légèrement perturbé leurs habitudes vestimentaires. Mesdemoiselles, le soleil se couche désormais une heure plus tôt, ses rayons réconfortants avec, et il faudra penser à couvrir vos petits bras boudinés et vos jarrets tremblotants, non seulement vous êtes laides à faire peur dans vos filets à rôtis mais en plus, une grippe est si vite arrivée...
L'ouverture des portes se fait à 18 heures tapantes, ponctualité appréciable, et la longue et calme file d'attente se déverse au compte-goutte dans la Grande Salle de la Laiterie, se transformant petit à petit en torrent d'impatience. Les curieux se placent au meilleur endroit possible pour découvrir SECRETS OF THE MOON, premier groupe de la soirée prévu à 18h30, bien que votre serviteur situé aux premières loges sent dans son dos le souffle d'un public encore clairsemé. Puis les lumières s'éteignent, de longs larsens percent le silence et la scène se pare d'un brouillard mystique, ne manquant pas de faire rager les deux-trois photographes présents pour immortaliser le moment. Les allemands de SECRETS OF THE MOON font alors leur entrée en scène sous quelques timides vivats et démarrent leur set avec un "Hole" très planant, complètement représentatif de leur univers. Malgré ça, on remarque immédiatement que le son est brouillon. La voix du chanteur, entre le chanté, le narré et le crié, se noie tranquillement sous les leads mélodiques de ce diable de guitariste d'Arioch. Sans en faire des caisses dans la mise en scène (pas de corpse-painting, peu de mouvements, une attitude sobre), les teutons parviennent à faire entrer le public dans leur monde parallèle, savamment dosé entre un Black Metal mélodique, occulte et éthéré. Ce n'est pas spécialement le perdreau de l'année mais rien non plus d'incongru dans ce qui est calculé pour être une montée en puissance progressive jusqu'au feu d'artifice final. Quelques breaks inspirés, une grande dose de sombre poésie et voilà que SECRETS OF THE MOON aura fait le job : défendre avec droiture son dernier bébé, Sun, paru en 2015. Quatre des six titres interprétés par le quatuor en sont tirés : "Hole", donc, mais aussi "Dirty Black", "Here Lies The Sun" et "Man Behind The Sun". Quant à "Seven Bells" (Seven Bells - 2012) et la superbe "Lucifer Speaks" (Antithesis - 2006), elles auront valeur de maigre rappel pour une formation qui a quand même fêté en 2015 son vingtième anniversaire (!!!). Une prestation dépouillée, aux frontières de la magie douce et de la prosodie noire, qui aura fait de SECRETS OF THE MOON une mise en bouche globalement attrayante. (7/10)
Après 30 minutes d'interruption qui auront vu les mecs de SECRETS OF THE MOON ranger leur matos et de curieux gugusses encapuchonnés faire les balances du set suivant, les lumières de la Laiterie se fanent à nouveau pour laisser place à MGLA. Pour avoir suivi de loin leur prestation au Hellfest 2016 et ne pas être entré correctement dans leur trip, je comptais fortement sur ce moment passé au premier rang pour m'imprégner pleinement de l'atmosphère unique distillée par une formation que beaucoup considèrent (à tort ou à raison) comme le meilleur groupe de Black Metal actuel, fort d'un Exercises In Futility (2015) qui aura tout dégommé sur son passage. Et je n'ai pas été déçu. Les mecs débarquent sur scène cagoulés sous leurs capuches (les yeux observateurs auront donc aperçu leurs trognes pendant les balances), ce qui apporte une touche légèrement "horrifique" au spectacle. Ces hommes sans visages, vêtus de noir et de cuir, qui n'ont pas un mot pour leur public et qui se contentent de jouer, jouer, jouer, déverser leur haine sans autre forme de procès, voilà une ambiance mortifère qui me parle directement. Je crois que pour comprendre le concept, il faut vraiment laisser son esprit s'immerger totalement dans la musique, et fermer les yeux quasiment tout le concert pour faire travailler son inconscient. De toute façon, visuellement, c'est le néant. Aucun mouvement, aucun contact avec la foule, on ne peut rien voir, pas même les expressions sur leurs visages. Il n'y a que les oreilles qui perçoivent cette partition morbide, cette near-death-experience qui se déroule mécaniquement. Le Black Metal de MGLA est vraiment spécial. Brumeux, viscéral, électrique, pas forcément mystique mais il vous retourne les tripes, il pue la violence et la misanthropie, fort de ses tempos soutenus, de ses cassures ambiancées et de la voix particulièrement abyssale de M. Parmi les moments forts, il y a ce premier morceau, "Further Down The Nest, I" qui vous agrippe l'arrière du crâne et vous projette brutalement sous la surface de l'eau. Il y a aussi les trois morceaux issus d'Exercises In Futility ("I", "II" et "IV") qui attestent de toute la dimension malsaine emmagasinée par le duo (qui est un quatuor sur scène) au fil des années. Puis il y a "Groza III", un pamphlet abrupt et décadent, une litanie de crasse qui marque les esprits fragiles. Le set s'avale d'une traite et se digère difficilement. On pourrait argoter sur de menus détails, le son était meilleur, la brume beaucoup moins perturbante que pour SECRETS OF THE MOON, mais ce serait du pinaillage. Un show de MGLA, t'es dedans ou t'y es pas, mais si t'es dedans, pas sûr que t'en ressortes indemne. Car ces mecs croient en ce qu'ils font, et je pense que la vision la plus dérangeante les concernant était de voir sur leurs visages, après leur concert, pendant qu'ils démontaient leur matos, les stigmates d'un accomplissement. Celui d'une performance 100 pourcent chaotique et nihiliste. (8/10)
A peine la tension commence-t-elle à retomber après MGLA que les spectateurs placés au premier rang en ressentent une nouvelle : celle de la foule dans leur dos qui investit massivement la Grande Salle pour assister au show des rois de la soirée : BEHEMOTH. Résultat : une densité au mètre carré étouffante qui aura comprimé quelques cages thoraciques (dont la mienne) contre les barrières de sécurité. Le crew des Polonais s'active : la scène s'agrandit, dévoilant une méga-batterie surélevée, des pieds de micros stylisés sont installés et un brin de crispation se lit sur les visages du staff, dont l'envie de finir cette tournée en beauté est manifeste (Strasbourg étant la dernière des 10 dates de l'Europa Blasphemia Tour - Part II). Si on ne savait pas encore que BEHEMOTH est une grosse machine, on le devine immédiatement par l'activité de ces hommes de l'ombre et la quantité de matos à installer. Pour ma part, j'avais déjà vu le groupe une fois, au Hellfest 2014, et je n'avais pas été déçu, malgré le contexte "festival", alors la perspective d'un show en headliner, dans l'intimité d'une salle pouvant contenir 1000 personne à tout casser était une bonne raison de plus de louper les vêpres du dimanche soir et d'aller "communier" avec ce nom du Metal extrême. Vous verrez que le terme n'est pas usurpé...
21 heures, pas une seconde de plus. Orion (basse) et Seth (guitare) se tiennent immobiles, juchés en haut des marches installées de chaque côté de la batterie, puis c'est au tour de Nergal d'investir les planches, dans un silence de cathédrale, encapuchonné lui aussi et tenant dans ses mains deux torches qu'il maintiendra en l'air une interminable minute, éclairant de leur unique lueur la scène. Les premières notes lancinantes de "Blow Your Trumpets Gabriel" font alors vibrer la Laiterie et marquent le début du show ; une entrée en scène hautement théâtrale pour un groupe qui aura construit au fil des années ses capacités à proposer un véritable spectacle. Le morceau s'emballe et des jets de fumée s'échappent au rythme des chœurs. Tout ça est très calculé, très "surjoué" mais honnêtement, cette dimension incantatoire et tape-à-l'œil n'est pas non plus pour me déplaire. BEHEMOTH enchaîne avec la violente "Furor Divinus" puis la schizophrénique "Messe Noire" (évoquée en intro du présent live-report) ; d'abord remuante, puis musicale. L'occasion pour nous de constater que BEHEMOTH n'est pas qu'un groupe de bourrins et que la part belle est aussi faite aux mélodies, comme en atteste ce superbe solo exécuté à quatre mains par la paire Nergal / Seth. Le lightshow est parfait, pas trop intense et laissant le loisir au public de découvrir leurs accoutrements et maquillages dans une certaine pénombre. Le son est lui aussi monumental, explosif, et on en mesure toute l'envergure sur "Ora Pro Nobis Lucifer", le meilleur titre à mon goût de The Satanist et qui rend parfaitement sur scène : lourdeur, mid-tempo, vocaux à s'en arracher la gorge (for thine is the kingdom, and the power !), tout est véritablement parfait dans ce morceau qui est LE vrai temps fort de leur setlist. La setlist, parlons-en d'ailleurs, car il y a aussi une singularité et pas des moindres : le quatuor interprétera ce soir (et aussi les autres) l'intégralité de son dernier album, et dans l'ordre ! Pour ceux qui, comme moi, ont énormément apprécié cet opus, le moment est jubilatoire car on devine l'arrivée des morceaux : "Amen", "The Satanist", "Ben Sahar", "In The Absence Ov Light" (sur laquelle Nergal, en impeccable prêtre sataniste, se fond dans le public armé d'un calice - ou d'un ciboire – afin de distribuer la communion à ses fidèles ouailles) pour en arriver à l'incontournable "O Father O Satan O Sun", autre gros tube de The Satanist et point d'orgue de cette célébration nébuleuse. Après le gros du morceau, le groupe s'éclipse et revient déguisé, le visage couvert de masques "sur mesure" surmontés de deux immenses cornes. L'effet est du tonnerre, surtout que le titre s'achève sur une longue incantation samplée à la gloire de Satan ! Alors je ne sais pas si je suis vraiment impressionnable ou si j'ai simplement apprécié à cause du contexte (petite salle, ambiance intimiste, show carré comme je les aime et une bonne dose de mise en scène), mais ce concert de BEHEMOTH m'a semblé l'un des meilleurs concerts que j'ai vécu ! Il s'est surtout éternisé pour mon plus grand bonheur avec en rappel six des meilleurs compos de leur répertoire, de "Ov Fire And The Void" (Evangelion - 2009) à "Chant For Ezkaton 2000 e.v." (Ezkaton EP – 2008) en passant par la furieuse "Conquer All" (Demigod - 2004), la très rare "Pure Evil And Hate" (And The Forests Dream Eternally EP – 1995), la fédératrice "Slaves Shall Serve" (Demigod - 2004) ou encore "At The Left Hand Of God" (The Apostasy - 2007) et son intro reconnaissable entre milles, tout y était, rien à jeter ! Ces mecs sont des monstres et BEHEMOTH, avec ses années de route au compteur, est une machine de guerre aux rouages huilés. (8/10)
Le concert s'achève dans le chaos et le souffre. Il règne une atmosphère de ruines fumantes, de cendres et de carnage (merci, Orion, d'avoir craché du faux-sang sur le premier rang, ça tâche, je vais vous envoyer les frais de teinturerie !). On peut analyser, débattre, juger BEHEMOTH de n'importe quelle façon et sous tous les angles, ces garçons excellent dans ce qu'ils font, et le public en a pour son argent. Alors oui, pour comprendre, il faut aimer ce qui était du Black Metal et ce qui s'est éloigné de l'esprit du Black Metal authentique pour aller naviguer dans des sphères plus artificielles, il faut passer outre la médiatisation du cancer de Nergal, il faut passer outre les effets de style de The Satanist et la façon dont le groupe aura fait vivre cet album si particulier sur scène. Quelque part, BEHEMOTH, c'est l'anti-MGLA, ou inversement, et quand on vit deux émotions aussi fortes et contradictoires en si peu de temps, on a tout le loisir ensuite d'aller débattre sur la légitimité ou pas d'une telle affiche. De mon côté, j'en suis sorti rincé, et avec un franc sourire aux lèvres.
Si ça c'est pas Black Metal...
Ajouté : Mardi 08 Novembre 2016 Live Reporteur : Stef. Score : Lien en relation: Behemoth website Hits: 8020
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