C'est en écoutant le dernier album de TRAIL OF TEARS, Bloodstained Endurance, que le nom de THEATRE OF TRAGEDY m'est venu à l'esprit. Non pas par simple comparaison hâtive et bien trop réductrice, car même au sein de la confrérie gothique les meilleurs groupes parviennent à se différencier des autres avec une identité propre. Non, je m'interrogeais sur les origines exactes de ce courant métallique si atypique, à la beauté aussi forte que la sensibilité qu'il dégage. Et soudain, tous mes souvenirs ont resurgi ...
Nous sommes en 1993.
PARADISE LOST, que l'on qualifiera sans aucune ambiguïté de "précurseur" du Metal Gothique, accouche de l'une de ses œuvres majeures, Icon.
En toute fin de disque (il y a bien un instrumental, mais "Deus Misereatur" fait office de clap de fin), on se laisse envouter par "Christendom", morceau sublime où la voix caverneuse de Nick Holmes fait place à la douceur vocale de Denise Bernard, sur fond d'arpèges mélancoliques. La voix est toute tracée, d'autres vont s'y engouffrer.
En Norvège, le jeune groupe SUFFERING GRIEF, rapidement rebaptisé LA REINE NOIRE puis fort justement THEATRE OF TRAGEDY, base ses compositions originales sur le même concept où se côtoient guitares écrasantes, rythmes lourds, voix Death et féminines, mélodies tragiques au piano et textes poétiques. La toute fraîche formation venue de Stavanger peut compter sur les personnalités créatives que sont Liv Kristine Espenaes (chanteuse), Raymond Tohonyi (voix Death) et Lorentz Aspen (piano). Rapidement, THEATRE OF TRAGEDY marque son territoire avec ses deux premiers albums, Theatre Of Tragedy (1995) et Velvet Darkness They Fear (1996), qui deviennent des opus de référence pour les futurs TRISTANIA et autres WITHIN TEMPTATION (et forcément, TRAIL OF TEARS).
Alors que les héritiers précités tentent de suivre le même chemin, THEATRE OF TRAGEDY s'écarte volontairement du style qu'il a lui-même popularisé et prend son public à contre-pied. Aegis, comme se nomme ce troisième album, est intégralement consacré aux divinités féminines et femmes de la mythologie. Et histoire de le classer à tout jamais parmi les albums cultes, THEATRE OF TRAGEDY prend le risque d'écrire la plupart des textes en Anglais shakespearien ...
Elément clé du changement d'orientation sur Aegis, l'arrivée de Tommy Olsson, guitariste et adepte du Gothique des années 80 ainsi que de toute la New Wave, soulage grandement le groupe dans sa démarche. De cette façon THEATRE OF TRAGEDY incorpore de nombreuses parties de guitares aérées (on note beaucoup d'arpèges aux échos hypnotisants), Tommy incarnant le pendant apaisant de son compère Frank Claussen, qui lui préfère les parties plus grasses et heavy. Si Hein Frode Hansen (batterie) reste fidèle à son registre, le pianiste Lorentz Aspen travaille au maximum les atmosphères, plus calmes que sur le répertoire d'antan. Même Tohonyi adoucit sa voix et propose, comme sur "Lorelei", des lignes plus monocordes, linéaires, peu agressives. Sans pour autant perdre la flamme, il atteint même la perfection floydienne sur "Aoede".
Sur la majeure partie d'Aegis, Tohonyi et sa voix de mâle s'effacent au profit de la délicieuse et fragile Liv Kristine. A l'image de tout ce qu'elle accomplit sur ce concept album, Liv bouleverse l'auditeur sur "Samantha" et "Angélique", qu'elle porte à bout de bras par sa voix douce et un charisme indéfinissable. Capable de bien des nuances, elle peut même évoquer une Mylène Farmer blessée sur "Venus" ... Et comment ne pas céder devant ce chant de sirène lorsqu'elle s'envole délicatement sur le refrain de "Poppaea" ?
Dans l'ensemble assez lent, Aegis contient néanmoins quelques "tubes" qui accélèrent la cadence, à l'image des "Lorelei", "Samantha" et "Poppaea". Et forcément, les mauvaises langues accusent THEATRE OF TRAGEDY emprunte une voie bien trop "pop", jugée trop commerciale ... Pourtant tout fan de Metal qui tient Aegis entre ses mains peut se vanter de posséder l'un des must du Metal Gothique. C'est un fait indéniable. Et même si le THEATRE OF TRAGEDY décide par la suite d'évoluer en permanence, laissant quelques membres du groupe sur le bord de la route au passage, il n'en reste pas moins un digne et influent représentant du Metal à voix féminines.

Tracklisting :
1 - Cassandra
2 - Lorelei
3 - Angélique
4 - Aoede
5 - Siren
6 - Samantha (titre bonus)
7 - Venus
8 - Poppaea
9 - Bacchante