ENSLAVED (no) - RIITIIR (2012)
Label : Nuclear Blast Records
Sortie du Scud : 28 septembre 2012
Pays : Norvège
Genre : Black / Viking Metal experimental
Type : Album
Playtime : 8 Titres - 67 Mins
C’est quand le bonheur ? La question est souvent posée sans qu’on y porte vraiment attention. A vrai dire, je pense que tout le monde a une perception bien personnelle de ce sentiment, que tout le monde le matérialise de façon différente et unique, selon ses propres sensibilités. Mon petit coin de paradis à moi, c’est ENSLAVED. Je refuse de me laisser emporter par la musique trop facilement. Ce sont de vieux démons que je combats quotidiennement et alors oui, je l’avoue, à chaque nouvelle apparition des Norvégiens, je me prépare à une lutte. Je sais que je ne ferais pas long feu, parce que ce sont les seuls artistes affiliés au Black Metal capables de me submerger. Un état d’hypnose profond, un coma artificiel, une somnolence latente, une rêverie distraite, j’envisage toutes les possibilités pour y résister et pour vous proposer des mots qui ne sauraient trahir la magie que m’inspire ENSLAVED. Avant-hier Vertebrae, hier Axioma Ethica Odini, aujourd’hui RIITIIR. Et le temps dans tout ça, daignera t-il défiler normalement ? Une fois, une seule.
Un douzième album studio et voilà que s’ajoute un nouveau chapitre au formidable récit de nos aventuriers Scandinaves. Et qu’en restera t-il après tout ? Un moment de grâce d’une infinie pureté, d’une intensité inégalée ? N’importe quel groupe serait flatté par de tels propos. Mais ENSLAVED est insensible à ce qui ressemble pour eux à de vulgaires litotes, à des pléonasmes éhontés, à des lieux communs éculés. Et pour cause, leur musique ne ressemble à aucune autre, chaque album est différent du précédent. Un Black Metal progressif barré et sans aucune cohésion ? Allez au diable. Plus réfléchi, plus minutieux, plus structuré que n’importe quelle sortie, RIITIIR, ce magnifique palindrome, se démarque par son éloquence, sa justesse, son auguste distinction. Je n’essaye pas de convaincre qui que ce soit, parce que le plus mauvais riff de cet album aura un impact certain sur n’importe quel auditeur. C’est dire. Alors pour entrer dans le vif du sujet, au-delà de trouver ce disque terriblement expérimental, peut-être plus encore que Vertebrae puisqu’il débroussaille le vieux Rock mélodique par le biais de morceaux tellement étranges qu’ils n’auraient strictement aucun avenir en live (« Storm Of Memories »), je crois sincèrement que RIITIIR est une œuvre qui joue sur un paradoxe. Elle est à la fois complexe et décomplexée. C’est avec une fluidité folle, un naturel proche de l’arrogance qu’ENSLAVED déroule des compositions comme « Thoughts Like Hammers », qui introduit cet opus avec une forme de suprématie. Le riff principal est lourd, gras, haché. Et tout autour viennent se greffer des accélérations épiques, illuminées par la voix éthérée d’Herbrand Larsen. Il y a aussi des passages sombres, inquiétants et une fois encore, les grognements bougons de Grutle qui n’aident pas à s’y sentir à l’aise. Des enluminures arrangées qui font très années seventies. Des guitares discrètes qui évoquent épisodiquement le travail de Steven Wilson sur « Harmony Korine ». Des nappes de claviers toxiques qui injectent dans nos veines un monoxyde de carbone désorientant. Le simple fait qu’ENSLAVED perpétue avec la plus grande innocence ses expérimentations parfois loufoques suffit à nous faire perdre la raison. Mais quand ils choisissent délibérément d’empoigner nos estomacs et de vider nos âmes de tout sentiment réaliste, alors c’est trop tard. L’extraordinaire « Veilburner », du haut d’un premier riff ciselé et d’arrangements fougueux, emportés au loin par la voix magnétique d’Herbrand, plonge RIITIIR dans une dimension stellaire. On ne réalise qu’après coup, quand le silence redevient maître de la situation, que les Norvégiens ont fait très fort et nous ont emporté dans un univers vraiment lointain. C’est une syncope longue de 70 minutes, peut-être bien le film de vos vies pour peu que vous fermiez un peu les yeux. Il y a cette magie qui opère et ENSLAVED, fort de la très planante « Roots Of The Mountain » ou de « Materal », à la fois militaire et Rock N’ Roll, garnit son RIITIIR de huit tubes. Chacun à sa propre personnalité. Du martial à l’épique, de l’aérien au conservateur, de l’authentique au psychédélique, de la passion à la raison, huit morceaux, huit sensibilités. Et parmi elles, une certaine « Forsaken » qui plantera le dernier clou du cercueil. Onze minutes d’anthologie qui commencent par de lugubres pianos désaccordés avant de subir de plein fouet un ouragan constitué de violentes bourrasques. Je ne soupçonnais plus ENSLAVED de savoir jouer aussi vite, et pourtant. Première pause faite de tourbillons électroniques couverts par le bruit du vent, ultime déflagration et, l’image est un peu facile mais je l’emploie quand même, c’est le calme après la tempête. Il n’y a plus que quelques notes de guitares lancinantes, un jeu de batterie stoïque et la voix posée d’Herbrand pour nous ramener avec délicatesse sur Terre, dans un dernier soubresaut musical très Post-Rock.
Et cette mouche qu’on entend soudain voler, elle est le symbole d’un silence qui retrouve progressivement sa place. C’est dur, très dur de reprendre ses esprits parce que comme chacun a pu le constater, ENSLAVED a publié avec RIITIIR un disque qui se vit, plus qu’il ne s’écoute. C’est ainsi. Certains le diffuseront avec insouciance, par simple curiosité. Libre à eux de passer à côté de quelque chose de beau. Pour ma part, comme je l’avais annoncé sur ma chronique d’Axioma Ethica Odini, j’ai attendu patiemment le verdict concernant cette nouvelle sortie avant de savoir si je pouvais tirer ma révérence l’esprit tranquille. Mais pour une telle décharge émotionnelle, je suis prêt à prolonger l’aventure pour encore quelques années, à l’exacte image des increvables génies d’ENSLAVED ! Véritablement, le bonheur, c’est maintenant.
Ajouté : Mercredi 03 Octobre 2012 Chroniqueur : Stef. Score : Lien en relation: Enslaved Website Hits: 8422
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