DEVIN TOWNSEND (ca) - Epicloud (2012)
Label : Inside Out Music
Sortie du Scud : 21 septembre 2012
Pays : Canada
Genre : Metal
Type : Album
Playtime : 13 Titres - 50 Mins
Ecrire sur un homme dont on vit la musique, dont on respire chaque chanson comme lui les écrit est un exercice très difficile. Surtout quand cet homme s’appelle Devin Townsend et qu’il ne nous laisse que rarement le temps de souffler entre deux albums. Devin, c’est un peu notre Zappa à nous. Une sorte de touche à tout de génie, excellent guitariste, chanteur hors norme, qui ne s’impose aucune limite. Même sens de l’humour un peu branque, même sérieux lorsqu’il aborde ses références, univers parallèle mais différent. Là où Frank stigmatisait les travers de ses contemporains et de la société en général, Townsend parle de lui, de la vie, de sa vie, et de tout ce qui la compose. Certains, comme moi, ont choisi de le suivre à travers ses pérégrinations, d’autres l’ont laissé sur le bord de la route, lassés de ses expérimentations qu’ils jugent redondantes, voire trop similaires pour susciter l’intérêt.
Et c’est vrai que quelque part Devin, tu es usant… Tu nous balances une tétralogie qui nécessitera des années à être appréhendée, comprise, digérée, et au moment même où l’on commence à en entrevoir toutes les possibilités, tu reviens avec un nouveau projet. Et nous devons tout reprendre de zéro. Je sais que tu es boulimique de travail, que toutes les mélodies qui traversent ton esprit doivent être gravées pour te permettre de passer à autre chose, mais pense un peu à nous. Devoir ingurgiter une telle masse d’informations musicales, c’est difficile. Mais je crois que de ce côté-là, tu es un peu égoïste, ne le nie pas.
Alors, voilà, nous en étions resté à Ghost et Deconstruction, deux derniers chapitres d’une thérapie de l’impossible, qu’il nous avait fallu décrire avec des mots, tâche ardue s’il en est, et il nous faut maintenant aborder le cas de ce nouveau LP, Epicloud. Bon, très bien, après tout, nous sommes là pour ça. Alors allons-y.
En prenant le pire raccourci critique qui soit, je pourrais dire que cet album est un parfait résumé de ta démarche ces dernières années. Qu’il se pose en redux des quatre derniers volumes de ta discographie, et ceci, pour bien des raisons. D’une part, nous retrouvons avec bonheur la belle Anneke à tes côtés, venue poser ses douces lignes vocales sur tes titres les plus équilibrés. D’autre part, Epicloud propose à peu près toutes les ambiances développées sur Ki, Addicted, Ghost et Deconstruction. La violence du dernier parfois, la plénitude du premier et du troisième, et les facéties mélodiques du second, ainsi que sa grandiloquence. Mais il y a aussi un peu de Strapping dans ces débordements non contenus, un peu d’Ocean Machine aussi pour ces longues tergiversations venues de nulle part, du Physicist au premier degré puisque tu en as retravaillé un titre, l’excellent « Kingdom ». En gros, Epicloud, c’est ton prisme, vu sous toutes les facettes. Et c’est aveuglant bien sur, comme une lumière vitale qui pourtant vous consume le regard.
Il n’y a que toi pour imaginer cette chorale gospel désincarnée qui s’occupe de l’introduction. Et surtout, pour en continuer le travail sur le morceau suivant, le premier « vrai » du disque, « True North », qu’Anneke entame comme une comptine improbable. C’est une Pop song, n’en doutons pas, malgré ces arrangements luxuriants, et cette profusion de chœurs sur fond de double grosse caisse qui ne trompe personne.
« Lucky Animals » sonne comme un spin off de Ziltoid ou d’Infinity… Ce refrain roublard et presque enfantin, c’est tout toi, Devin… Cet art de créer des minis opéras de poche pour les gamins que nous sommes tous restés, c’est tout simplement magique. Un Space Kids Opera ? Chiche !
« Where We Belong »… Quelle vaste question mon cher… J’espère que tu trouveras un jour ta réponse… En tout cas, un morceau pareil, aussi apaisé et vaste, il n’y a que toi pour en faire. C’est une de tes personnalités, nous l’avons tous compris depuis longtemps, et peut être la plus attachante, car cette apparente douceur cache bien des complexités que même Dieu ne pourrait peut être pas appréhender.
Et quand tu t’éloignes définitivement du Metal, comme sur « Save Our Now », tu me fais vraiment craquer… Cette sorte de Disco Pop Rock cosmique, avec en plus les intonations d’Anneke qui transcendent encore plus tes intentions initiales, c’est… Indescriptible. Du Devin dans les grandes largeurs, aussi inspiré que ludique, aussi têtu que décidé et sûr de son fait. Un son larger than life pour un morceau aussi léger, c’est un décalage saisissant, mais symptomatique. Faire passer les petits détails avec fracas, c’est aussi une recette de l’improbable.
Surtout pour l’enchaîner sur la nouvelle version de « Kingdom », encore plus énorme que l’originale. Perfectionniste au point de retravailler d’anciens titres ? Rien d’étonnant une fois de plus, et pourtant, je m’étonne que ta créativité débridée te l’ai permis. Mais très bonne idée en tout cas, qui ramène les débats sur le terrain de l’ambivalence des sentiments.
« Grace » ressemble en tout point à « Numbered »… Même construction évolutive, même amorce d’Anneke, toute en douceur, avant l’incarnation du maître, qui pousse son chant dans ses retranchements.
Même constat pour « More » … Tu es sur que nous ne l’a pas joué leftovers là quand même ? Parce que l’ambiance, le rythme, le chant, la structure, ça pèse quand même dans la balance. Tu peux l’avouer tu sais, on ne t’en voudra pas, puisque de toute façon les deux morceaux sont excellents.
Le diptyque final, « Hold On » et « Angel », sonne comme une gigantesque prière adressée à Dieu… Qui, pourquoi, comment, où ? Une fois de plus, tu retrouves ces chœurs emphatiques posés sur des harmonies simples et charmantes, tu juxtaposes une violence sous jacente et une tranquillité de surface qui nous perd et nous envoûte en même temps…Et puis, la combinaison des deux titres Devin, sur un pur plan sémantique ? « Hold on, Angel » ? N’est ce pas un message que tu t’adresserais à toi-même ? Et si réponse tu cherches, elle est simple mon ami, bien sur que tu dois continuer. Pour toi, pour nous, pour le monde. Et si le final nous ramène au début de ton disque, le geste est tout sauf anodin.
Chercherais-tu à boucler la boucle et à nous faire comprendre que cette œuvre n’est qu’une synthèse ? Une carte d’identité imaginaire et musicale destinée à mieux te cerner ?
Mais c’est impossible Devin de te cerner, même si Epicloud est compact, et beaucoup plus recentré que certains de tes travaux précédents !
Et je connais déjà les réactions que suscitera ce disque… Tes fans l’aimeront, au delà du possible comme d’habitude, et tes détracteurs s’en serviront de preuve pour affirmer que tu divagues depuis des années, que tu gloses dans le vide comme un vieux fou, en déguisant de vieilles idées pour mieux les recycler, et nous affirmerons tout de go que tu n’es qu’un escroc, un imposteur se faisant passer pour un génie, sous des apparences de fausse modestie…
Mais ça, et le reste, je m’en fous. Parce que tes disques me font voyager, toujours, et de plus en plus loin. Ta musique est ce que tu as de plus personnel à nous offrir, c’est de la pudeur et de l’exhibitionnisme à la fois, très troublant. Ne m’en veux pas de te juger humainement, mais il est impossible dans ton cas de séparer l’œuvre de l’homme, car à force de t’écouter, de te lire, on commence à te comprendre, seulement maintenant, par petites touches, presque imperceptibles. Et ces notes, ces sons, ces mélodies, elles t’appartiennent, et toi seul connaît le mystère de leur création. Et rien que pour cela, je continuerai de t’écouter, encore et encore, car toi, et quelques autres artistes, vous êtes le dernier lien qui me relie à la vie.
Et grâce à vous, je me sens toujours un peu moins seul.
Ajouté : Lundi 08 Octobre 2012 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Devin Townsend Website Hits: 8358
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