La vie a un début et une fin, tout le reste, c’est ce que vous en faites. Cette phrase, ceux qui pleurent encore la mort de l’inspecteur Derrick sur les chaines du service public la connaissent bien. De la bouche d’une cougar comme Sophie Davant, elle n’en est que plus sensuelle. Pour INHUMATE aussi, il y a un début et une fin. La réflexion commence en 1996, dans la chaleur du placenta. C’était Internal Life. Elle s’achèvera dans un futur de plus en plus proche désormais, avec Eternal Life, qui sortira à une date où notre protagoniste cessera de penser. Entre temps, il aura eu le temps de naitre (Ex-Pulsion en 1997), de grandir (Growth en 2000), de vivre (Life en 2004), de s’assagir (The Fifth Season en 2009) et maintenant, d’entendre le son du glas se rapprocher, l’odeur des chrysanthèmes lui irriter les voies respiratoires et le bruit du Grind lui claquer les tympans. Les Strasbourgeois d’INHUMATE sont de retour avec Expulsed, pour le sixième et pénultième volet de leur heptalogie et leur présence à nos côtés, après plus de vingt ans de bons et loyaux services dévoués à l’underground est quelque chose d’infiniment rassurant.

Parce qu’INHUMATE est intègre. Parce qu’INHUMATE n’a jamais cessé de revendiquer son appartenance à l’underground, en dépit d’une popularité prononcée. Parce qu’INHUMATE a foi en ce qui est sincère et que ce qui est sincère leur ressemble forcément. Alors tu te retrouves avec Expulsed entre les doigts, des citations d’Elsa Triolet, d’André Gide côtoient dans le livret les noms de Jésus, de Proust, de Charles Foster Kane, de Thatcher, de Danton, d’Artémis et tu comprends direct que ça va pas être très drôle. Pourtant, entre deux borborygmes, Christophe se marre plus qu’il ne l’a jamais fait. Peut-être les coups de micro sur le front laissent-ils enfin une empreinte, un impact de métal circulaire qui brutalise les méninges. En tout cas, il demeure suffisamment lucide pour vomir we are inhumate, we are inhumate, comme pour qu’on s’en souvienne encore un peu. Et derrière, c’est l’avalanche. Avec une maturité et une facilité déconcertante, le quatuor te jette à la gueule son Grind hostile et gonflé à bloc, comme autant de coups de boutoirs distillés par un Ed Kemper sous amphétamines. Le résultat est certes violent, mais ce n’est plus du tout la même violence qu’auparavant. Il y a une détresse qui s’échappe de cet album et qui affecte directement les tripes, quelque chose de psychologique, d’écrasant, d’insupportable et qu’on ne retrouvait pas avant, ni sur The Fifth Season, ni sur Life et encore moins sur les précédents. Pourtant, c’est avec beaucoup de talent qu’INHUMATE reste fidèle à ses convictions. Toujours enregistré au Down Town Studio, toujours sous la houlette de Didier Houbre, toujours produit par Grind Your Soul, toujours furieux et toujours engagé, un disque du groupe s’avale d’une traite et Expulsed ne déroge pas à la règle. Torché en une petite demi-heure, ce sixième opus est en passe de devenir une référence de Grind tricolore, aux côtés des derniers BLOCKHEADS (The World Is Dead), évidement, mais aussi TREPAN’DEAD (Instinct), des fraichement arrivés RATBOMB (LowCost Gangstas) et d’INFEST, qu’on n’oublie pas, malgré un Moshroom vieux de quatre ans maintenant. Et même si on en viendra à buter sur un tas de « Cendres » étrangement structuré, étonnamment accessible pour du INHUMATE, le contenu de cet album n’en demeure pas moins en totale harmonie avec leurs principes.

Viscéral et instinctif. Primitif et expéditif. Un produit brut, sans arômes artificiels, sans sucres ajoutés. Tellement épuré qu’en fermant les yeux, tu t’imagines avec eux, dans le studio, à humer péniblement l’odeur de sueur qui neutralise ton déo Carrefour, à grimacer à la vue du sang qui coagule lentement sur le front fumant de Christophe, à masser tes cervicales endolories et à taper du pied, si fort que tu en creuserais presque ta propre tombe. Expulsed est le spectre de la mort qui plane au-dessus de ta tête. Un spectre franchement bruyant qui te propulse d’un high-kick dans une petite boite en bois de sapin pour t’y recueillir, en attendant de goûter à la vie éternelle.