Il se dégage de No Springs Honest Weight une imperceptible chaleur. J'imagine qu'en été, le mercure grimpe assez haut au cœur de la rustique Tolède et le rapport est peut-être ici. TOLEDO à beau venir de Strasbourg, une ville-cuvette coincée entre la Forêt-Noire et les Vosges, capable de garder un cagnard suffocant plusieurs jours, c'est plutôt du côté du soleil ibérique que balance leur Heavy Rock massif et ténébreux. Il souffle en effet sur ce premier EP une brise très légère, si fine qu'elle permet à peine de ne pas se brûler les poumons en inspirant un air saturé. Suffisant, pour ne pas sombrer dans le coma provoqué par ce groupe, qui s'est bien gardé de dévoiler l'identité de ses membres. Ainsi, nous sommes confrontés pendant près d'une demi-heure à une créature, officiant avec brio derrière son micro, dont nous ignorons le nom mais que nous appellerons ici MST, non pas par précaution d'hygiène, mais pour Miss-Soul-Ténébreuse, tel que son timbre vivifiant l'exige.

Loin de moi l'idée de démystifier la performance remarquable des trois autres membres masculins de TOLEDO, mais il apparaît comme une cinglante évidence qu'avec une frontwoman de tel talent, le quatuor saura toucher un public élargi, et pas seulement concentré sur des attentes purement Metal. L'image des CRANBERRIES et de Dolores O'Riordan vient assez rapidement en tête, mais pas seulement. Il y a dans ce mélange de voix soul et hystériques, de riffs musclés, de blasts toniques, un parfum d'ALICE IN CHAINS, de RAGE AGAINST THE MACHINE, ("Do It Your Way" peut prendre des airs de "Killing In The Name"), de SONIC YOUTH, de MELVINS pour les aspérités un peu psychédéliques, comme sur la fin d'un "Down Up" où les voix de MST se superposent avant d'atteindre une forme d'hystérie collective. Les morceaux, conçus pour faire valoir leur efficacité, se distinguent les uns des autres par une personnalité prononcée. Ainsi, le point culminant de No Springs Honest Weight qui est pour moi "Be My Bird" avec sa cadence Indus et sa lourdeur rythmique très teutonne ne rencontre aucun pendant tout au long de l'œuvre. Tout s'imbrique dans une alchimie proche de la magie noire et le soleil d'Espagne revient comme autant de flashs éblouissants au moment où "Nomad" vagabonde sur différents terrains avant de venir conclure ce récital de Rock noir et sauvage. Du sang s'écoulera péniblement des oreilles, non pas parce que cet EP est une torture faite aux tympans, mais parce qu'il agit de la même façon que des coups de rasoirs, qui lacèrent le système nerveux avec autant de conviction que le guitariste (pour lequel je n'ai pas trouvé de surnom original) martyrise son instrument. Les compositions sont plutôt longues, maculées et témoignent d'un sens de l'écriture aiguisé. En cela, TOLEDO est un vrai regroupement d'artistes et d'idées, car cet EP ne se résume pas à une première ébauche de capacités. Il a de la cohérence et du sens, tout en laissant libre court à l'imagination de chacun.

La mienne a subi de plein fouet le choc de No Springs Honest Weight. TOLEDO est un toréador qui fait courir son taureau dans tous les sens, évitant avec sérénité le moment où la bête pensait l'avoir attrapé. Toujours indemne, mouvements fluides, volupté de l'agonie, les Strasbourgeois entrent dans l'arène avec un objet bien étonnant qui risque de susciter autant d'admiration que de jalousie.