D'Atheist Dezekration à Revelatio, il n'y a qu'un pas que les Lillois de DUNKELNACHT viennent de franchir en ce début d'année 2014. J'espérais secrètement que ce groupe mystérieux allait faire le grand saut, et j'espérais aussi, comme ce fut le cas, que ça prendrait pas mal de temps. Quatre années séparent ces deux productions et aucun obstacle entre. L'occasion de rêver à la mise en œuvre d'un véritable projet musical, élaboré avec méthode, qui puisse mettre enfin ses couilles sur la table. Car de Dark / Ambient à Black Metal occulte et poétique, on se perdait un peu entre les démos (la lugubre Das Leiden Für Die Ewigkeit de 2005 par exemple), les splits (SHADOWDREAM, GRIM FOREST, MASS GRAVE ou même le plutôt récent The Godless Whoreship avec DEVIANT MESSIAH notamment !) et ce premier opus relativement opaque, énième piste de réflexion aux accents athéistes. La configuration a d'ailleurs évolué, et c'était je pense primordial pour lancer définitivement la carrière et la réputation de DUNKELNACHT à travers l'Hexagone.

Même si je ne porte pas vraiment leur personnalité artistique dans mon cœur (sans animosité aucune), je dois reconnaître que ces garçons ont une approche du Black Metal qui peut, et qui va séduire. Il fallait juste une convergence totale entre les forces en présence. Max Goemaere a pris la place de la boîte à rythmes en 2010 et Frost (pas celui de SATYRICON et 1349) s'est emparé du micro. On réalisera sur le long terme que ces deux arrivées vont rendre la musique de DUNKELNACHT plus organique et plus riche, moins antipathique. Un moindre mal quand on connaît le point d'orgue que met Heimdall à composer des arrangements qui visent à faire de ce Black Metal frileux et agressif un Black Metal substantiel et touffu. Revelatio, loin de s'inscrire dans une optique de chef d'œuvre de noirceur, est à considérer davantage un marchepied intelligent et ludique permettant au groupe d'expérimenter sans trop en dévoiler. Le potentiel créatif est là, en surface. Il frémit, jaillit parfois des failles et des plaies de cet album, comme quand les guitares d'"Ashes From Stellar Oracles" lui autorisent une intrusion dans le Heavy pour détendre une ambiance de mort. Ceci étant, je continue de croire que les Lillois roulent en gardant le frein à main à bonne distance afin de ne pas trop éveiller les soupçons. Un projet commun s'est décidé, et il oscille entre un Black Metal bien old-school (celui d'Atheist Dezekration), un Death discret, des mélodies prophétiques, des orchestrations savantes, un côté Indus / martial violent ("Dissolved Fractal Esoterism"), un autre côté cérémonial et institutionnel mené par une voix claire qui fait autorité ainsi qu'une polyvalence entre chant anglais et français ("Le Serment Des Hypocrites"). Les paramètres sont nombreux au cœur de cette œuvre gourmande et la façon dont ils s'emboitent est remarquable. Pourtant, j'ai également la nette impression qu'au moment de dévoiler son visage le plus épique et mélodique ("Rebirth Of The Black Procession" par exemple, qui intervient en bout de tracklist, quand on a déjà été bien matraqué), Revelatio cherche à embarquer son auditeur dans l'état de transcendance qu'il a connu au moment de sa composition, et qu'il est encore trop tôt pour certains. Il faut beaucoup de temps et de volonté avant de rentrer dans cet univers singulier qui, en écoutant "Post Prophetic Rebellion", en deviendrait presque moyenâgeux et sectaire.

Mon esprit est vivement partagé. Partagé entre l'idée que DUNKELNACHT est un groupe trop atypique pour se laisser apprivoiser et la sensation d'avoir été pris pour cobaye lors d'une expérience scientifique de routine qui pourrait aboutir dans les prochaines années à un renversement d'ordre mondial. Je ne sais pas encore pourquoi, mais je sens ce quatuor guidé par une force obscure qui se fait les griffes sur des enveloppes charnelles avant de passer à la vitesse supérieure. Et nul doute que son emprise sur l'âme de DUNKELNACHT vient à peine de commencer.