Une goélette aux voiles gonflées échappe à un immense kraken sur fonds de soleil couchant... Cette sobre pochette noir et blanc avec le splendide artwork de Phil (basse), c'est la huitième galette studio de LOFOFORA. Et pour notre plus grand plaisir, le contenu est à la hauteur du contenant. Des textes à la poésie brute, ancrés dans un présent morose. Pas de grandes déclarations politiques, pas de coupables désignés mais le sentiment que çà ne va pas très bien... "des bourreaux, des tyrans, c'est çà que veulent les gens" ("Pornolitique"), "c'est pas demain la veille qu'on touchera l'autre rive" ("La dérive"), "çà empire, çà s'emporte, les rats se bousculent à ma porte, le doigt sur la détente rend pas ma vie plus excitante" ("Pyromane").

Les 14 morceaux sont portés par la voix grave et profonde de Reuno (chant), le charismatique frontman du combo. Il alterne chant crié, chant clair et texte déclamé. La production respecte bien chaque instrument : basse ronflante, batterie bien agressive sur les morceaux speed et caressante sur les morceaux plus mid-tempo. A part quelques belles intros et un petit solo sur "Pornolitique", Daniel (guitare) apporte simplement une pierre de plus à l'édifice harmonique. C'est l'album d'un groupe soudé et fusionnel. Chaque artiste à sa place, aucun n'est écrasé par les autres. Chaque morceau est un tout cohérent au service du texte puissant.

Niveau thème, pas de doutes, on est bien dans un album de LOFOFORA : critique de la société, des politiques, des médias, de nos petits travers, un constat amer sur le rôle de chacun dans la décrépitude ambiante.
Si certains textes sont plombés par le fatalisme ("Pornolitique", "La dérive", "Contre les murs"), d'autres font plus de place à l'humour (noir) comme "Romance" ou "Double A" voir à la satyre appuyée dans "Tsarine".

La tracklist est bien équilibrée. Elle alterne morceaux sombres et plus légers, hardcore scandé et chant clair, dans un crescendo - decrescendo qui ne laisse jamais retomber la pression.

Deux morceaux coups de coeur dont "Contre les murs", véritable invitation au headbanging, qui n'est pas sans rappeler la structure musicale de "l'Oeuf". "Le Malheur Des Autres", un morceau parfait! Des paroles sur la lâcheté ordinaire qui font mouche "Réjouissons-nous à chaque mauvaise nouvelle comme une balle perdue à laquelle on réchappe / la mort nous console quand ce n'est pas nous qu'elle frappe". Reuno déclame gravement les refrains, au propre comme au figuré, soutenu par une mélodie bien Heavy.

J'accroche moins aux deux morceaux d'inspiration keupon dont "Romance" parlant des amants possessifs ainsi que "Tsarine" qui est un portrait au vitriol d'une femme politique française aisément identifiable.

Au cours de ses 25 ans de carrière, LOFOFORA a fait évoluer son Hardcore fusion complexe et composite, mais sans renier ses origines mélodiques ni ses convictions.
Nouvelle pierre ajoutée à l'édifice, L'Epreuve Du Contraire poursuit le chemin, comme une goélette sur l'océan infini...