L'Homme de Vitruve selon ABORTED à l'air d'un chirurgien arachnéen. Quel curieux amalgame entre un génial inventeur et un groupe connu depuis sa création en 1995 pour le peu de goût qu'il manifeste envers l'innovation. Irréguliers dans la performance, comme en atteste la différence de standing entre Strychnine.213 et Global Flatline, autant que dans ses line-ups, les belges sont néanmoins ce qui se fait de mieux en matière de Brutal Death Metal sur le Vieux Continent. Affirmer le contraire, c'est avoir deux coquilles vides à la place des oreilles. D'ailleurs, une fois n'est pas coutume, après le passage virevoltant de The Necrotic Manifesto, il n'en restera plus grand-chose. Deux décennies de tortures diverses, d'écartèlements, de piloris mais aussi de demi-molles et de déceptions auront fait d'ABORTED une formation absolument palpitante, qui signe une formidable remontada après le trou d'air ayant englouti la période 2004-2008 dans un gouffre artistique dont seul Slaughter & Apparatus : A Methodical Overture semblait assez fort pour en réchapper.

Global Flatline montrait le chemin. The Necrotic Manifesto, sans surprise, l'aura emprunté. Pourquoi s'aventurer sur un sentier potentiellement mortel alors qu'on vient juste de s'extirper d'une forêt de ronces ? Pourquoi retourner vers le danger alors que pour la première fois depuis des années, ABORTED pouvait légitimement se sentir en sécurité ? Ce huitième opus fait les bons choix aux bons moments, se lovant dans le confort structurel de Global Flatline, profitant de sa grandeur comme d'un paravent, déployant ses ailes d'albatros sous la protection presque divine de son grand frère. Définitivement, les belges sont repartis du bon pied, et la roue aura peut-être enfin tourné, car fort de ses deux nouveaux guitaristes, camaïeu de sang frais (Mendel bij de Leij, strictement inconnu au bataillon) et de sang coagulé (Danny Tunker, ex-GOD DETHRONED, ex-PROSTITUTE DISFIGUREMENT), ABORTED peut légitimer l'espoir d'une continuité, tant la cohabitation entre les différents protagonistes de ce disque se fait sans anicroche. Le solo de "Purity Of Perversion" illumine les derniers instants de cet album comme "The Extirpation Agenda" l'a fait de sa violence inouïe au début. Avec un titre pareil, on a surtout l'impression que les belges ont fini par atteindre le point G du jusqu'au-boutisme musical, le stade intermédiaire et parfait entre bruitisme bénin et purée de notes indigeste. De breaks en accélérations, de manifestes mortuaires ("An Enumeration Of Cadavers") en autopsies artisanales ("Sade & Libertine Lunacy"), The Necrotic Manifesto joue à juste titre les gros bras avec ce soupçon de classe ultime tranchant entre l'album de Brutal Death qui a du sang bleu dans les veines et le pamphlet rédigé de boue et de précipitation. La faute à Ken Bedene, sonique, à Sven De Caluwé, épique, à "Die Verzweiflung", organique, et à tous ces autres spasmes que sont les indiscutables "Cenobites", "Coffin Upon Coffin" (et son "mid-tempo" caféiné à 2'42) sans oublier "Necrotic Manifesto", granuleux au possible, ronronnant comme une chaudière encrassée. Ajoutez à cela la participation suspecte de Vincent Bennett (THE ACACIA STRAIN) sur l'expéditive "Your Entitlement Means Nothing" et celle de Phlegeton (WORMED) qui s'occupe des bruits de canalisations sur "Excremental Veracity" et vous obtenez les compléments protéinés qui atténueront la teneur calorique de cet ouvrage incandescent.

Seule ombre au tableau, et d'envergure, jamais The Necrotic Manifesto ne tente de franchir le palier d'intensité généré par Global Flatline, restant dans son sillon élargi sans faire les accélérations nécessaires pour le dépasser. C'était le moment ou jamais, et le groupe, en consolidant ce fantasme de résurrection artistique, fait un pas en arrière après un pas en avant. Résultat : ABORTED stagne, mais stagne dans l'excellence. Aussi inédit pour eux qu'inespéré, après une carrière en dents de scie qui a désormais fait main basse sur le bon fusil diamant pour aiguiser ses lames rouillées.

Le tétanos vous guette, et quel meilleur praticien que l'Homme de Vitruve selon ABORTED pour amputer ?