Au diable courants, marrées et autres ressacs. Cet EP n'est pas une plume qui voyage paisiblement sur un miroir d'eau croupie, c'est une bouteille à la mer, un S.O.S allégorique emporté de Montréal à Brest par le déplacement des eaux de ce que les spécialistes appellent "la dérive Nord-Atlantique". Jadis en quarantaine dans son pays natal, le Canada, YOUR FAVORITE ENEMIES s'exporte désormais. Mars 2013 : Between Illness And Migration heurte les côtes japonaises avant de s'échouer au large de l'Australie six mois plus tard. Et alors qu'il fut frappé d'un amour soudain pour la France en 2007, le groupe décide d'y tenter sa chance au mois d'avril 2014, permettant à ce peuple "cousin" d'enfin se délecter de leur Noise Rock / Post-Punk. Entre Marées Et Autres Ressacs est lancé. Joie.

Sauf que dans le genre chialeuses baudelairiennes, on était déjà suffisamment blindés. Parenthèse tricolore dans une discographie déjà garnie de quelques EP, deux albums et un LP vinyl, Entre Marées Et Autres Ressacs se gargarise d'une poésie bruyante et malheureuse, d'un supposé Noise Rock qui verse davantage dans de l'Emo Pop et d'une transcendance sentimentale aussi mièvre que tiède. En réalité, cet EP n'a pas la profondeur universelle qui bouleverse l'âme de l'oiseau de passage. Barré dans un délire d'une théâtralité plus amusante qu'introspective, il oscille entre le vide assourdissant de l'intro "Satsuki Yami" et la narration geignarde d'"Empire Of Sorrows", incapable de s'énerver correctement malgré le riffing alarmant à 1'26. Beaucoup plus ragoutante, "I Just Want You To Know" aura le mérite de ressembler à un single, avec son lead pénétrant et ses accords chaotiques nimbés d'un Punk / Rock efficace. Ceci étant, j'ai toujours du mal à m'imprégner du chant plaintif d'Alex Foster (qui aurait d'ailleurs le look parfait pour intégrer INDOCHINE, bon point pour lui). Celui qui est censé conduire YOUR FAVORITE ENEMIES sur des autoroutes de spiritualité romancée est finalement le point Godwin d'une caricature d'Emo / Rock psychotrope. Un paramètre peu flatteur pour Entre Marées Et Autres Ressacs, auquel le synopsis proposé avec le disque se permet de prêter des liaisons dangereuses avec NOIR DESIR, SONIC YOUTH, THE CURE et surtout, surtout, le grand, l'immense, le ténébreux Nick Cave, absent mille fois de ce genre de débat à dormir debout. Monts et merveilles devaient se livrer l'entrecuisse ouverte à un auditeur broyé par les alexandrins larmoyants d'"Obsession Is A Gun" et le "Noise" Rock contagieux de nos amis canadiens. Au lieu de ça, le simple fait de chercher un prétexte à cet EP devient un effort cérébral peu engageant. Travail, technique et émotions synthétiques, tout le bordel se regroupe dans ce disque à l'efficacité très très (très) facultative. A tel point qu'on bande déjà mou à l'idée d'un hypothétique split avec TESS.

Solidement cimenté dans un décor où ne cesse de pousser une luxuriante végétation de Post-tout-et-n'importe-quoi, Entre Marées Et Autres Ressacs n'aura que sa belle gueule pour le sauver. Reconnaissons à YOUR FAVORITE ENEMIES la beauté des photos qui servent de toile de fond à leurs pochettes. Car il n'y a que peu de choses à dire de leur musique, pyramide incomplète de bons sentiments, camaïeu bleu light (mais alors super light) de Pop / Rock stridente et morose. Entre jérémiades et autres blablas, l'impression d'un réchauffé émotionnel n'est jamais très loin.