N'avez-vous pas, vous aussi, ce souvenir pénétrant et particulier d'un plat, d'un entremets, d'une fragrance, d'un fumet, qui réveille en vous certains souvenirs enfouis, telle la Madeleine de Proust ? ALL FOR NOTHING est ma Madeleine de Proust. Hellfest 2012, Warzone. Voilà l'endroit où j'ai dégusté du regard pour la première fois les jarrets à la néerlandaise. Vêtue d'un petit short laissant découvertes ses cuisses rebondies, Cindy van der Heijden y performait alors, derrière son micro, couverte par un monceau de Hardcore bestial et dodu. L'étincelle, le déclic. A mon retour, c'est la discographie d'ALL FOR NOTHING qui est passée au peigne fin. Start At Zero, Miles & Memory, To Live And Die For, j'en oublie, autant d'œuvres complètes, percutantes, qui font savoureusement oublier la triste déconfiture de BORN FROM PAIN. Après deux ans d'un fâcheux silence, le groupe est sur le retour en 2014 avec un cinquième opus, motivé par une productivité qui ne lui aura jamais fait défaut. Et quatorze années plus loin, What Lies Within Us sera bien malgré lui une forme d'aboutissement.

Aboutissement artistique ? La question peut se laisser poser. Quid d'un aboutissement artistique quand on pratique un Hardcore aussi authentique, qui ne laisse guère de place à la folie, ou alors tout juste cette capacité à souffrir d'une frénésie nerveuse sur commande ? Non, ALL FOR NOTHING n'est pas obnubilé par ce type de performance. Par contre, jamais ALL FOR NOTHING n'aura semblé si puissant, si furieux, et en même temps si serein. Avec deux nouveaux membres à bord (un guitariste et un bassiste), le combo donne tout son sens à l'esprit de fraternité qui régit un vrai groupe de HxC. C'est comme si Arjan Boertje et Joost van Laake avaient toujours été là, le sang frais en plus. Après un court "Prologue", "Luctor Et Emergo" affranchit les règles de What Lies Within Us sur fond de Harcore old-school new-yorkais, vivace, remuant, moucheté de cœurs et dompté par la voix teigneuse de Cindy. Une formule efficace qui s'estompe sur "Burn The Lies" au profit d'un Hardcore plus groovy, plus Metal aussi. ALL FOR NOTHING est comme ça. Plusieurs couleurs, du rouge magenta au bleu roi, composent leur tableau, sans jamais tomber dans un monochrome chiant comme la mort. Organique, ce cinquième full-lenght le devient peu à peu, toujours nuancé par un chant masculin postillonnant et boosté par des rythmiques Punk renversantes ("Five Leaf Clover"). Plus long de cinq minutes par rapport à To Live And Die For, What Lies Within Us fait prospérer son ossature type, avec treize morceaux expéditifs dont l'essence se concentre surtout entre "Burn The Lies" et la Rock N' Roll "Nothing Left To Fear". Au-delà, il y a par exemple ce poignant manifeste qu'est "Under A Different Sun", au caractère solennel puisque parachevant l'œuvre d'une vie ou encore l'étonnante HxC-balade "Black Damp", instrumentale, mélodique, mid-tempo, tellement Metal sur la forme et coreuse dans l'âme...

Cela fait maintenant quatorze ans qu'ALL FOR NOTHING n'avait pas livré pareil écueil. Jamais, depuis leur formation, les néerlandais n'avaient manifesté tant de chaleur et de rage au sein d'un de leurs disques. C'est le constat que je fais à chaque fois, et que l'album suivant se plait à défaire en un temps record. C'est le paradoxe ALL FOR NOTHING, qui est de ces formations en perpétuel progrès, et que seul le tombeau réduira au silence. Mais d'ici là, nous avons encore de belles heures de Hardcore devant (et derrière) nous.