MAMALEEK (usa) - Via Dolorosa (2015)
Label : Flenser Records
Sortie du Scud : 26 mai 2015
Pays : Etats-Unis
Genre : Black Metal expérimental
Type : Album
Playtime : 9 Titres - 35 Mins
"Parfois, je veux du Black Metal, mais je ne veux pas de Black Metal. Merci Mamaleek"
Ce commentaire de Travis Niemeyer sur le Bandcamp du duo américain MAMALEEK parait un peu étrange et sent la formule choc, pourtant, il résume à merveille l'attitude de ce groupe décidemment hors norme, qui ne se voit absolument pas faire les choses comme tout le monde.
Cette inclinaison à l'étrange et au décalage ne me dérange pas, elle aurait plutôt tendance à me séduire. Mais à une condition, qui ne souffre aucune exception. Que cette singularité soit le résultat d'un processus naturel, et non d'une volonté. Rien ne me rebute plus que les groupes qui veulent paraître originaux, et qui se creusent la tête pour trouver des angles d'approche non conventionnels.
Dans le cas de MAMALEEK, la question ne se pose même pas. Le duo de frangins respire un air différent du notre, certainement plus chargé en oxygène, ce qui leur permet de percevoir des choses dont le commun des mortels ne soupçonne même pas l'existence.
Via Dolorosa est le cinquième effort du tandem, le second pour le label Flenser. Mais c'est aussi leur disque le plus abscons, ce qui est une gageure tant leurs précédents LP's étaient déjà sacrément barrés. Avec pour la première fois l'adjonction d'une batterie analogique, Via Dolorosa prend des allures d'hybridation bizarroïde entre le Black le plus cru, le Shoegaze le plus accessible, le Dark Jazz enfumé, et le Post Rock le plus allumé. Cela vous semble rédhibitoire, improbable ? C'est un fait, je vous concède que sur le papier, ça sonne impossible. Et pourtant, c'est réel, concret, et surtout, ça fonctionne terriblement bien.
Vous n'êtes pas sans ignorer, si vous avez un minimum de culture historique/religieuse, que la Via Dolorosa fut le chemin emprunté par Jésus lorsqu'il porta sa croix sur son dos. L'utilisation de cette dénomination n'aurait pu être qu'un gimmick, mais en réalité, elle décrit à merveille la construction de ce disque. Et tout comme la douleur du Christ et son cheminement furent des évènements extraordinaires dans l'histoire, cet album connaîtra sans doute le même destin, et déchaînera les mêmes passions. Explications.
Il y a différents façon d'aborder la musique. De la manière la plus simple et sobre qui soit, en prenant son instrument et en se fixant sur une atmosphère ou un style, en cherchant juste un médium d'expression pour ses propres sentiments.
Mais on peut voir aussi dans cet art une possibilité d'assemblage extraordinaire, comme un puzzle géant dont le nombre de pièces ne serait pas limité. Et ainsi, la possibilité de créer un tableau unique, à la palette de couleurs étendue, ou au contraire en travaillant les nuances de gris. C'est cette option que les deux frères de MAMALEEK ont choisi, et Via Dolorosa en est leur illustration la plus flagrante. Autant vous prévenir tout de suite à l'instar de Travis Niemeyer, ce disque est résolument Black par son traitement, et pourtant, est tout sauf ça. Ou alors bien plus, trop différent, ou carrément excentré.
Si le Metal noir est bien présent de par les incarnations vocales écorchées, par la violence larvée ou non, il est tellement dilué dans des nuances de Jazz louche et ténébreux, de Post Rock bancal et aventureux, et d'Ambient même pour ces longues atmosphères délétères, qu'il s'en retrouve dénaturé, et expurgé de ses systématismes les plus flagrants.
La subtilité dont fait preuve le duo est telle qu'on en oublie ce que l'on écoute en cours de route, et le voyage/chemin de croix se matérialise soudain comme un tout, comme une image sonore créée pour immerger l'auditeur dans un tableau. Pour se faire, les deux frères ne se refusent rien. Aucun son, aucun arrangement, et de fait, ils frôlent parfois le sublime comme sur les deux instrumentaux ("The Garden's Agony" et "Tiberieum"), superbes de retenue et de délicatesse harmonique.
Si l'affaire débute sous les auspices les plus radicaux qui soient ("Nothing But Loss", son accroche à la batterie un peu de travers et ses hurlements rauques), elle évolue au gré de compositions étranges qui déstabilisent, provoquent l'imagination, et ce, dès le second morceau.
"Pain As Providence" est sans conteste le segment le plus bizarre du lot, avec sa rythmique instable et inconstante, son chant lointain et raclé, et ses breaks presque Smooth Jazz complètement hors cadre. La longue plainte "Already There" suit plus ou moins le même schéma, avant de laisser place à un Shoegaze éthéré sur lequel des sursauts vocaux sombres viennent se greffer pour ne pas laisser une paix complète s'installer. Nous avons même droit à un final presque Trip Hop Black qui a de quoi laisser pantois...
Certaines portions se veulent plus volontiers classiques et doucereuses, "Ain't Got No Fight" en tête de ligne qui n'a plus aucun rapport avec le Metal dans ses percussions et ses harmonies Post Rock, tandis que d'autres au contraire sombrent dans le chaos dissonant, déconstruisant une mélodie hypnotique et décalée pour laisser un chanteur torturé s'exprimer pleinement ("What's Left", inquiétant et maladif).
Mais quelle vanité de vouloir transposer en discours une telle symphonie de l'étrange...
Via Dolorosa, c'est le tout ou rien. Tout, parce que sa richesse est énorme, rien, parce qu'il ne peut se rattacher à aucun courant existant.
Il n'est que musique, certes difficile à cerner et appréhender, que certains trouveront d'ailleurs si particulière et hermétique qu'ils préfèreront renoncer, alors que d'autres, moi y compris, la trouveront singulièrement magnifique.
Singulier, ce mot est souvent revenu dans les lignes de cette chronique. Mais il arrive de temps à autres que l'on soit bluffé par un album sorti de nulle part. Il est par contre évident qu'avec une formule aussi poussée, l'avenir de MAMALEEK reste un peu en suspens.
Que pourront ils produire d'encore plus différent ?
Seuls eux le savent.
Ajouté : Mardi 22 Septembre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Mamaleek Website Hits: 5692
|