WORLD NARCOSIS (is) - World Coma (2015)
Label : Auto-Production
Sortie du Scud : 9 mai 2015
Pays : Islande
Genre : Chaotic Black Grind
Type : Album
Playtime : 11 Titres - 47 Mins
Reykjavík, la baie des fumées, capitale de l'Islande. Paysage de rêve pour touristes, photographes, ambiance cotonneuse, froid omniprésent, peut être un peu d'ennui aussi.
C'est pourtant de là qu'ont émergé un jour SIGUR ROS, GUSGUS, BJÖRK, TRABANT, dans un registre abordable, mais aussi IN MEMORIAM, WORMLUST, CLOCKWORK DIABOLUS, DARKNOTE ou BLOOD FEUD, dans une veine plus proche de nos inclinaisons.
La plupart des groupe métalliques du cru s'orientent naturellement vers le Black, le Crust, le Death, le Hardcore, des courants porteurs de rage, de haine, de colère ou de misanthropie, découlant certainement de leur situation géographique. L'air est connu, comme le vent froid qui souffle la bas, et l'agressivité naît souvent de l'isolement, lorsque les contacts avec l'extérieur semblent promis à une mort certaine.
La mort ?
C'est une des préoccupations de WORLD NARCOSIS, tout comme la vie. Mais ne comptez pas sur eux pour vous chanter les louanges d'une existence paisible et harmonieuse, eux qui déclarent que "l'espoir s'est pendu, et se balance doucement dans la pénombre".
Après un premier simple, paru en 2011, le quatuor constitué de Aegir (batterie), Viktor (chant), Sindri (guitare) et Halla (basse/chant) s'est lancé en première partie d'année 2015 dans le grand bain du LP, avec cet initial World Coma (disponible sur leur Bandcamp dans une superbe version double vinyle) qui pose un vrai problème d'analyse. On y sent en effet des réminiscences du Chaotic Hardcore le plus brutal, du Grind le plus viscéral, mais aussi un arrière plan plus complexe, comme un lien invisible entre le Black sec et abrasif typique des pays nordiques, et le Crust brûlant venant de Suède.
Sindri déclarait même que ce premier effort était "sa tentative personnelle pour jouer du Black Metal, avec des musiciens typiquement Grind".
Et le bougre décrivait avec précision... Car World Coma à la folie, la furie, les intonations et les sonorités intrinsèques au Grindcore, mais le son global, la structure des compositions, et l'approche restent résolument tirés des leçons enseignées par la vague noire nordique des années 90... Le mélange est étrange, déstabilisant, mais aussi terriblement prenant.
Pour en arriver là, il semblerait que le groupe se soit laissé guider par ses tics naturels, et les morceaux que l'on trouve ici sont souvent biscornus, comme emprunts de courants opposés qui se rencontrent soudain dans un courant ascendant chaud, pour se déverser dans un gigantesque bain. C'est parfois à la limite du Depressive Black teinté de Sludge ("Nigh(t)", terrifiant), mais aussi lapidaire et sans concessions ("Death Has Been Consumed", au son si diffus qu'il est impossible d'apposer un sceau, mais si hystérique et fou qu'on préfère d'instinct le rattacher au Grind).
En gros, sur ces quarante et quelques minutes d'orgie sonore, peu sont stables et autorisent un classement sans appel.
On passe sans transition d'un pavé bruitiste éclair comme "Dead Days Run Amuck", moins d'une minute, à une longue litanie terrorisante et limite Post Indus de plus de onze minutes ("Swan Song City"). Cette dernière commence comme une énorme digression Sludge, avec effets sonores métalliques et mats, qui s'étale sur la moitié du morceau, avant qu'une hybridation limite industrielle rappelant les délires les plus étirés de BRUTAL TRUTH ou même les exactions bruitistes de fin d'album de NAPALM DEATH ne prennent le pas, toujours sur fond de rythmique abominablement lente, et de basse sèche et grondante.
Plaçons d'ailleurs en avant poste le rôle déterminant de Halla dans cette ode à la brutalité inclassable, tant son jeu de basse et son chant viscéralement éructé sont des composantes majeures de la réussite originale des Islandais. Elle n'hésite pas à agresser littéralement ses cordes, pour en faire sortir les fréquences les plus vibrantes, de la même façon qu'un GODFLESH maltraitait les siennes, tout en poussant des hurlements venant des tripes, nous laissant la plupart du temps pantois devant tant de conviction...
Mais le chant de Viktor n'a rien à lui envier, et loin des borborygmes typiques du Grind depuis la nuit des temps, ses harangues vocales acides donnent une dimension encore plus maladive à cet album, atteignant parfois des pics de violence impressionnants.
A ce titre, l'attaque de "Futureless", en plus de poser un regard lucide sur le monde, brouille déjà la perception dès l'entame de l'album. Intro progressive, puis amas bruyant de performances individuelles qui se rattachent les unes aux autres comme elles le peuvent, c'est une confrontation directe, sans échauffement.
On ne sait déjà plus sur quel pied danser, avec cette batterie noyée dans le mix qui semble s'affoler et partir dans toutes les directions, jusqu'à ce qu'un refrain abrasif comme dix rouleaux de papier de verre ne déroule son tapis irritant de Core venimeux et de Crust dangereux. Ca perturbe, ça fait mal aux oreilles, mais l'originalité frappe sans attendre, et nous intrigue au point de ne plus savoir à quoi nous attendre.
Si les guitares et la rythmique semblent en permanence s'agiter, comme si les instruments manquaient d'air, créant de fait une dynamique de groupe le confinant à la démence, parfois, tout le monde se calme quelques instants parfois, tout en gardant cette schizophrénie instrumentale unique.
Le final "World Coda" par exemple, se sert d'un support en arpèges ascétiques, tandis que Halla hurle à s'en faire saigner les bronches en arrière plan, comme un cri de douleur primal qui se perd dans la blancheur désespérante de l'hiver. Puis les rares effluves musicales se dispersent, et survient un affrontement vocal cauchemardesque entre Viktor et Hella, qui rompent avec toute forme de chant pour laisser leur gorge agoniser sous un flot de cris inhumains, aigus, puissants, avec force bruits de vaisselle brisée. Un sobre piano prend la suite, accompagnant cette guitare apaisée, avant que des murmures ne nous inquiètent en montant crescendo, pour finalement se muer une fois de plus en incantations vocales désespérées, rendant caduques les pires lamentations misanthropiques de Vikerness...
Reykjavík, terre de douleur ?
Nonobstant ces analyses à chaud, qui témoignent de l'impact que cet album hors norme à eu sur moi, je n'irai pas par quatre chemins.
World Coma est un album d'une rare violence, qui fait appel à un ressenti brut et spontané, et pourrait bien s'avérer être un des disques les plus fondamentaux de la culture extrême. Du Black joué par des musiciens Grind ? Je veux croire en cette possibilité. Et s'il représente l'espoir, c'est que celui ci est vraiment en train de se balancer au bout d'une corde, dans une nuit plus noire qu'un hiver islandais.
Ajouté : Lundi 12 Octobre 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: World Narcosis Website Hits: 5664
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