On connaît bien sur le Thrash US, le Thrash made in France, le Thrash sud-américain, le Thrash de l'Est, et ils ont tous leurs particularités. Du moins, ils en avaient à l'époque, puisque maintenant, la scène internationale semble s'être un peu plus nivelée que par le passé.
Nonobstant cette constatation, il subsiste encore de petites poches d'indépendance musicale de par le monde, et reconnaissons quelques caractéristiques toute locales.
Ainsi, les mexicains, brésiliens ou colombiens semblent particulièrement affectionner la sauvagerie primale des premières années brutales, tandis que les polonais, roumains et russes privilégient l'attaque de biais, un peu à cheval entre Thrash et Core.
Mais il existe aussi d'autres petites poches de violence un peu partout en Europe, et notamment chez nos voisins espagnols, qui en ce mois de février 2016 avancent leurs pions, en nous présentant un combo tout neuf qui semble avoir sa propre pierre à apporter à l'édifice.

Action/Réaction ? C'est ainsi qu'il faut concevoir ce premier album du quintette REAKTION qui avec Blackmailed Existence vient de lancer un énorme pavé dans la mare de la hiérarchie Thrash mondiale. Ils ne paient pas de mine, se sont approchés discrètement, et personne n'aurait pu prévoir la déflagration gigantesque provoquée par l'explosion de ces dix titres absolument délirants de puissance.
Et pourtant, le Thrash, on connaît bien, et ce, depuis très longtemps. 1983 je crois, et depuis, des milliers d'albums dont une très grande partie dispensables pour une poignée de chef d'œuvres. Sans être trop dithyrambique d'entrée, je crois pouvoir affirmer que ce LP va faire partie des meilleures réalisations du genre, et surtout, se poser en équilibre parfait entre la précision toute US du genre, densifiée par la vélocité et l'agressivité germanique. Pas mal comme numéro de funambule n'est-ce pas ? Et c'est pourtant le cas...

Ces cinq ou six dernières années ont vu l'explosion de la productivité d'un style qu'on pensait moribond, et qui s'est pourtant révélé encore plus actif qu'à ses grandes heures. Entre les flambées sud-américaines, les curées asiatiques et les défonces d'Europe de l'Est, les invasions sont ininterrompues et attaquent toutes les frontières avec une hargne et une foi incroyables, mais avec un tel élément dans ses forces en présence, l'Espagne pourrait bien se retrouver aux avant-postes, et ce, d'une façon tout à fait logique et méritée. En synthétisant la hargne un peu folle de VIO-LENCE, la fluidité d'ASSASSIN, et en assimilant le tout d'une approche un peu Thrashcore sur les bords, avec grosse tendance Crossover, le quintette ibère vient de signer un des meilleurs albums de Thrash pur et dur de ce premier trimestre. Une production énorme, claire, qui permet de discerner tous les plans présentés, de saisir au vol une basse claquante typiquement NYHC à la OVERKILL, et surtout, des morceaux incroyablement bien agencés qui savent appuyer les parties les plus violentes en les juxtaposant à des interventions Heavy, tout le Thrash de grande classe est résumé dans ce premier album qui semble empreint d'une dualité toute particulière. On le sent spontané et frais, et pourtant fruit d'une longue maturation, ce qui lui confère une fraîcheur indéniable qui se matérialise au travers d'un professionnalisme presque calibré au millimètre près.

Ainsi, les REAKTION entrevoient la vie comme un chantage permanent. Certes, c'est une possibilité, entre les exigences sociales, professionnelles, cet espoir qui s'amenuise tout en continuant de nous donner la force de nous battre, la maladie, l'adversité, les magouilles politiques... Par contre, leur vision du Thrash est tout à fait claire, et me pousse à retomber dans mes travers excessifs habituels, puisque je suis sur le point d'être tout à fait euphorique à propos de cette réalisation.
Par mon amour de la formule instantanée, et mon sens de l'emphase légendaire, je serais tenté d'affirmer qu'un morceau comme "Blackmailed Existence" prouve de ASSASSIN à Zazula que les Espagnols ont absolument tout compris au Thrash de très haute volée.
Titre à tiroir très finaud dans sa construction, breaks mortels, riffs plombés et saccadés, chant convaincant, basse massive, technique qui n'empiète pas sur l'efficacité, tout est là, de la Bay Area de 1985 à la Germanie de 1988, en passant par la SWOCTM (Second Wave Of Californian Thrash Metal), en gros, un putain de résumé de tout ce que le Thrash représente pour ses fans les plus Hardcore.

Mais alors que tout album du genre qui se respecte lève de temps à autres le pied en termes de puissance et de créativité, ce premier LP des Espagnols ne s'accorde pas avec cette théorie et reste passionnant de bout en bout, tirant frondement ses cartouches et restant pertinent à chaque plan.
Et les moments de bravoure s'accumulent, aussi emprunts de finesse US et de furie Européenne, et c'est avec délice que vous subirez les chocs frontaux du concis et lapidaire "Back To Reality" qui impose la saccade au sein d'un contexte ambivalent, avec en exergue des passages Heavy dominés de choeurs revanchards, "Prostituted City" et ses deux minutes et trente-huit secondes de mix ANTHRAX post Joey B et ONSLAUGHT moderne, ou le plus nuancé "In The Valley Of Tears" qui se permet quelques modulations vocales de bon ton.

Le tout s'achève sur un dernier massacre en règle, avec le brûlot "Through The Cracks" qui maintient la pression comme un ANNIHILATOR des grands jours, un peu vexé de voir les WARHAMMER récolter tous les honneurs. Le parallèle avec les deux meilleurs albums contemporains (comprenez Annihilator et Feast bien sûr) du groupe de Waters n'est d'ailleurs pas déplacé, puisque la fluidité mélodique de ce morceau allié à une énergie débridée cadre tout à fait avec l'optique revancharde du Canadien fantasque.

En résumé, et puisque les mots commencent à me manquer, tout comme les superlatifs, REAKTION vient de poser une sacrée bombe dans mes pavillons, et celle-ci a éclaté sans prévenir, me laissant seul avec mes acouphènes et mes oreilles en sang.
Si un groupe pouvait se targuer d'avoir tout compris au Thrash de premier ordre, et d'avoir réussi à utiliser tous ses éléments les plus distinctifs de la façon la plus optimale, alors ces espagnols seraient décorés de l'ordre du mérite Thrash sans qu'aucune constatation ne soit recevable.

En langage clair et Metal, Blackmailed Existence est un putain de massacre intelligent. Et pas besoin de vous faire du chantage pour que vous l'appréciiez. Il s'impose de lui-même.