Des groupes à vocaliste féminine, c'est courant. Des groupes entièrement féminins, plus rare mais ça arrive fréquemment, heureusement.
Un groupe de Black Metal fondé et mené par deux femmes, c'est déjà beaucoup plus rare. Un très bon groupe de Black Metal (argument 1), mené par deux femmes (argument 2), c'est encore plus rare.
On connaît bien sur les grecques d'ASTARTE, BLACKTHORN, COLDNIGHT, DÖDSÄNGEL, ou même le quatuor turque SIRANNON, et d'autres sont à rajouter à cette liste, dont les deux allemandes Vinterbarn (guitare, basse, chant) et Blitz (batterie, choeurs) qui viennent de sortir leur premier LP Home, sous le nom de baptême NYX.
Nyx, déesse grecque de la nuit, est selon la mythologie la première divinité issue du chaos primordial. En écoutant la musique du duo, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi elles l'ont choisie comme emblème, tant leur Black Metal évoque à merveille les contours flous et ténébreux de la pénombre.

Formé en 2011, le duo s'affaire à sortir une première démo assez rapidement, et 2012 lève le voile sur Satis, oeuvre étrange et pénétrante qui intriguait déjà. Si le Black est le principal moteur d'inspiration des deux musiciennes, elles n'hésitaient déjà pas à l'agrémenter d'influences beaucoup moins figées, et le résultat de ce travail d'ouverture trouve sa plénitude morbide sur ce premier longue durée, absolument hypnotisant et d'une noirceur absolue.
NYX n'hésite pas à citer via son label des artistes comme DARKTHRONE pour la rugosité de son approche Black, mais aussi la grande prêtresse Diamanda Galas pour ses obsessions lyriques et opératiques.
Home est donc le prototype même d'album intelligent, qui cherche à faire avancer les choses, et qui confronte des univers bien différents, pour les rassembler en une vision personnelle.

D'une beauté farouche et noire, Home se sert du nihilisme instrumental du Black, de la puissance du Heavy et du Doom parfois, mais aussi des incantations vocales hallucinées et possédées de Diamanda Galas pour parvenir à ses fins, "entrer dans les profondeurs du chaos, pour libérer le son assourdissant de la colère, mais aussi les cris de désespoir et les plaintes silencieuses".
Ca peut paraître abscons, voir emprunté, mais c'est pourtant une vérité faite musique, développée sur neuf morceaux qui une fois assemblés forment une litanie de mort, de souffrance et de silence. Ces morceaux sont systématiquement des emblèmes d'osmose, et non de simples collages aléatoire sans réelle essence. Toutes les influences de NYX sont assimilées, et régurgitées avec colère, nihilisme, poésie, et ce, dès le premier titre "Beyond". Si celui ci ne s'embarrasse pas d'une quelconque intro superflue et part de suite dans un torrent de blasts, sa fureur est vite maîtrisée, et des morcellements Heavy le décomposent pour finalement l'entraîner sur une autre voie. Le chant se met au diapason, et les screams initiaux, stridents et suraigus, laissent aussi la place à des lignes vocales scandées, puis à des exercices de style à la Galas, avec entremêlement de voix spectrales.
C'est pourtant le titre qui se rapproche le plus du Black pur, car la suite est beaucoup moins évidente... Mais c'est dès le départ très révélateur.

Hormis l'intermède judicieusement dénommé "Prélude" qui laisse un Dark Ambient remplir l'espace, et le court "S.ave O.ur S.ouls" très Blackened Thrash sans remords, le reste du répertoire est alambiqué, complexe et il n'est pas rare qu'un seul morceau héberge une bonne dizaine de plans différents, sans pour autant s'éparpiller. L'exemple le plus frappant en est sans doute "Deep" qui sur plus de six minutes se promène dans les méandres d'un psyché humain contradictoire, et le retranscrit via un Black très malsain. Double grosse caisse sur mid tempo, variations vocales allant du murmure désincarné au hurlement viscéral, théâtralité des mouvements, allusions subtiles au Heavy, tout est passé en revue par Vinterbarn et Blitz. Leu jeu est d'ailleurs largement à la hauteur de leurs ambitions, et garde cette touche analogique des grands albums du genre. Tout en gardant une approche sobre et humble, les deux musiciennes parviennent à instaurer une indéniable grandiloquence évoquant même la Commedia dell'arte dans son reflet le plus sombre, plus par leur créativité que par l'abus d'arrangements, d'ailleurs pratiquement absents.

Si vous doutez de l'objectivité de mon jugement, vous vous laisserez facilement convaincre par le dernier morceau de l'album, pur moment de Folk qui surprend et termine l'album en point final de biais. Folk oui, mais pas le Folk issu du Black, le vrai, avec mélodies acoustiques et chant Indie, très juvénile d'ailleurs, qui se retrouve finalement confronté à des cris rauques en arrière plan, déstabilisant complètement l'auditeur.
Vous trouverez aussi en cours de route des allusions à BATHORY ("Going On" qui débute pourtant sur un riff que n'aurait pas renié CHILDREN OF BODOM), des instants de misanthropie absolus ("Home" qui hume les forêts si chères à BURZUM), et même un mid tempo appuyé faisant la jonction entre CREMATORY et DARKTHRONE ("Metastases").

Mais ne perdez pas de vue le fait que Home est un album aux multiples facettes, qui met du temps à s'apprivoiser, pour finalement repartir libre. Un album qui repousse les limites du Black d'une façon très intelligente, mais aussi très féminine, ne le nions pas.
Quelle que soit la sensibilité des deux femmes qui composent ce duo, elles ne peuvent nier que leur vision de la musique est influencée par leur genre, et ce premier album en est une preuve indiscutable. Terrassant mais fin, épuisant mais euphorisant, nihiliste mais fertile, Home est une vraie révélation qui laisse présager de lendemains noirs et plombés, mais surtout d'un avenir musical riche et fascinant pour NYX. Il serait d'ailleurs assez ironique que cette première livraison les placent sous les feux de l'actualité, elles qui préfèrent les ténèbres.

Mais elles ne sont pas à un paradoxe près.