Satisfait de sa rencontre avec Rhys Fulber sur l'album de remixes Fear Is The Mindkiller, FEAR FACTORY décide de poursuivre sa collaboration avec le talentueux claviériste de FRONT LINE ASSEMBLY sur son album suivant. Une décision qui contribuera grandement à son retentissement. En effet, les ambiances glaciales et futuristes développées par Fulber vont pousser le groupe dans une direction qui n'était qu'ébauchée sur son premier album : le Death est délaissé au profit d'un Thrash violent et martial offrant davantage d'espace à l'implémentation des machines, l'usage fréquent de claviers permet à Burton C. Bell de développer davantage le versant mélodique de son chant et les ambiances cybernétiques créées par les samples inspireront à Burton des textes tournant globalement autour de la dialectique homme-machine. On est en 1995. Le Cyber-Metal est né.

Accoucher d'un nouveau genre musical n'est déjà pas donné à tout le monde, même si le genre en question n'est finalement qu'une variante du Metal Industriel. Mais quand en plus, les années passant, l'album reste un sommet du genre en question, on acquiert la certitude de tenir une oeuvre d'une valeur exceptionnelle. Soul Of A New Machine était grandement novateur mais trop imparfait pour être considéré comme un album majeur. Demanufacture pousse l'exploration encore plus loin et corrige presque tous les défauts de son prédécesseur.
D’abord, on constate avec soulagement que Colin Richardson a apporté beaucoup plus de soin à la production de ce deuxième album. Le son est bien plus propre, moderne et puissant, comme l’exige l’univers musical du groupe. Le couple guitare rythmique / batterie s’en trouve particulièrement mis en valeur, permettant d’apprécier toute la vélocité des rafales de mitrailleuse envoyées par Cazares et Herrera. Cette précision chirurgicale du son va même un peu trop loin en ce qui concerne la batterie, ce qui mènera les mauvaises langues à accuser le batteur d’avoir été remplacé par une boîte à rythme. C’est d’autant plus dommage que son jeu a réellement progressé depuis le premier album, tout comme le chant en voix claire de Burton C. Bell, plus technique et intense, même si l’on trouve encore quelques fausses notes ici où là.
Mais le progrès le plus notable réside sans doute dans les compos, infiniment plus abouties que sur Soul Of A New Machine… Déjà on passe de 17 à 11 titres, le superflu ayant cette fois été laissé de côté, à part peut-être la reprise de « Dog Day Sunrise » (le groupe nous prouvera encore maintes fois dans l’avenir qu’il n’est pas très doué pour les reprises). Ensuite, les chansons s’avèrent plus longues et bien plus riches dans leur construction. On n’ira pas jusqu’à parler de Metal progressif mais certains morceaux comme « Zero Signal », « Pisschrist » ou « Demanufacture » proposent une intro travaillée, suivie d’une véritable montée en puissance jusqu’à un final souvent grandiose. On est loin du Death relativement primaire des débuts, et ce que l’on perd en brutalité, on le gagne au centuple en mélodies inoubliables et rythmiques de haute voltige (« Self Bias Resistor », quelle claque !). Et puis il y a cette atmosphère futuriste, glaciale, mécanisée et lourde de menaces qui ne vous lache pas pendant tout l’album. Encore une fois, merci Rhys Fulber… Et merci également à James Cameron pour sa collaboration involontaire, le premier s’étant bien gardé de préciser qu’il avait piqué au second quelques extraits sonores de son Terminator 2. L’intro de « Zero Signal » par exemple est un sample de la scène de l’holocauste dans T2. Soucieux de percer à tout prix, FEAR FACTORY fait feu de tout bois, mettant à contribution le cinéma comme on vient de le voir, mais aussi la télévision et le jeu vidéo: on trouvera en effet des extraits de Demanufacture dans une pub pour une célèbre marque de téléviseurs mais aussi dans le sulfureux Carmageddon, un jeu de course automobile à la moralité douteuse (et donc indispensable!) dans lequel on marquait des points en écrasant les piétons... C'est en s'adonnant à ce plaisir coupable que votre serviteur découvrit un groupe dont il possède désormais toute la discographie. Il est des expériences dont on ne sort pas indemne... Cela dit, j'ai depuis longtemps remisé Carmageddon sur un coin d'étagère. Mais j'ai toujours autant de plaisir à ressortir de temps en temps ce Demanufacture qui n'a guère vieilli en 17 ans et fait désormais indiscutablement partie des grands classiques du Metal.