BENIGHTED (FRA) - Julien Truchan (Fév-2014)
Véritable bazooka auditif, BENIGHTED est aujourd'hui un groupe, et un véritable atout de la scène extrême hexagonale, que l'on ne présente plus. Ces bourrins catégorie "gold" étaient au Rock N' Eat, charmant et crasseux bar de Lyon, pour fêter comme il se devait la sortie de leur dernier méfait, l'excellentissime Carnivore Sublime. Et c'est ce cher Julien, chanteur/hurleur de la troupe, qui a répondu à nos questions dans une ambiance parfaitement détendue. Car qui pourrait croire que l'on puisse être le frontman d'une des formations les plus violentes du Metal français et être en même un pur exemple d'humanité ? Julien, c'est ton tour !
Line-up : Julien Truchan (chant), Olivier Gabriel (guitare), Adrien Guérin (guitare), Alexis Lieu (basse), Kevin Foley (batterie)
Discographie : Benighted (album - 2000), Psychose (album - 2002), Insane Cephalic Production (album - 2003), Identisick (album - 2006), Icon (album - 2007), Asylum Cave (album - 2011), Carnivore Sublime (album - 2014)
M-I Interviews du groupe : BENIGHTED (FRA) - Julien Truchan (Mars-2004), BENIGHTED (FRA) - Julien Truchan (Fév-2014)
Crédit Photo : Harold Verspieren
Metal-Impact. Déjà le septième album pour BENIGHTED, et plus de quinze ans de carrière avec ça ! Ca commence à faire un bout de chemin parcouru pour le groupe. En prenant du recul sur le parcours de BENIGHTED depuis ses débuts, quel bilan en tirerais-tu ?
Julien Truchan. Tout d'abord, beaucoup de fierté, car c'est vrai qu'on se bouge depuis 15 ans pour tourner au maximum et je pense que l'on a réussi avec chaque album à se surpasser par rapport au précédent. Le groupe a maintenant une bonne envergure internationale qui va nous permettre d'arriver à la prochaine étape qui est, je l'espère, de pouvoir tourner aux Etats-Unis pour promouvoir Carnivore Sublime.
MI. Pour rentrer rapidement dans le vif du sujet, peux-tu nous en dire plus sur le processus de composition, de répétition et d'enregistrement de Carnivore Sublime ?
Julien. Nous répétons à Lyon, vu que nous vivons tous à des endroits différents, au moins deux fois par semaine. Ce nouvel album est également bien marqué par l'arrivée d'Adrien à la guitare, qui a pondu une grande majorité des riffs de ce disque, et qui, par conséquent, est grandement responsable de la sauvagerie des plus délicates de cet album [Rires]. Cet album est bien moins scolaire qu'Asylum Cave par exemple, plus malsain.
MI. Est-ce que, encore une fois, vous avez suivi un concept particulier, un fil rouge tout au long de l'album, comme vous l'aviez fait pour Asylum Cave en retraçant l'histoire de Josef Fritzl ?
Julien. Oui, tout à fait, et encore une fois, c'est moi qui en suis responsable.
MI. Encore ?
Julien. Je suis le seul à travailler en psychiatrie chez BENIGHTED [Rires]. Le thème de cet album est à la fois une maladie qui se répand de plus en plus, et également une des conséquences de la société dans laquelle nous vivons, à savoir les personnalités état limite (ndi : aussi appelée "trouble de la personnalité borderline"). C'est une pathologie de la personnalité chez des personnes qui sont régies par l'angoisse d'abandon. Et donc sur cet album, je parle d'un homme ayant subi des traumatismes étant gamin, notamment du harcèlement sexuel de la part de son institutrice. Il est né d'une mère adultère, donc jamais aimé par son père, et sa mère était très ambivalente avec lui. Et son instit', par le harcèlement qu'elle lui fait subir, lui insuffle des pulsions qu'il ne maîtrise pas et qui ne sont pas de son âge, car ce garçon a sept ans. Une fois adulte, il rencontre une nana, ils tombent amoureux l'un de l'autre, et elle lui rappelle inconsciemment cette maîtresse, ce qui réveille par conséquent chez lui cette angoisse d'abandon. Accidentellement, elle tombe enceinte. Il ne supporte pas l'idée de devoir la partager. Ce qui va le pousser à la tuer et à manger des morceaux d'elle pour la garder en lui.
MI. Ce qui m'a frappé, c'est que contrairement à Asylum Cave, les solos sont peu nombreux, voire complètement absents, mais compensés par un apport mélodique plus prononcé qu'auparavant. C'est quelque chose de naturel chez BENIGHTED d'envoyer un boulet pas possible tout en saupoudrant le tout de ces petits passages mélodiques ?
Julien. Je vois ce que tu veux dire... A vrai dire, nous ne réfléchissons pas trop lorsque l'on compose, nous faisons ça très naturellement. La plupart des morceaux de Carnivore Sublime ont été composés en une ou deux répétitions, pas plus. On arrive, on se retrouve, l'un d'entre nous dit qu'il a 4-5 riffs à proposer, et c'est très rare que quelqu'un se pointe et amène un morceau entièrement composé. Nous faisons ça tous ensemble. Je pense que c'est une des raisons qui fait que nous avons gardé notre identité tout au long de notre carrière malgré les changements de line-up.
MI. La technique poussée est d'ailleurs toujours présente dans votre musique. N'est-ce pas parfois vraiment difficile de reproduire sur scène ce que vous faites en studio ?
Julien. BENIGHTED n'aura jamais vocation à être un groupe technique. On ne se considère pas comme un groupe de Death Metal technique. Nous travaillons constamment nos instruments. Le groupe a évolué et progressé, certes, mais on ne cherche pas à faire du compliqué pour du compliqué si tu préfères. On déteste la démonstration gratuite, il n'y a rien de plus chiant je trouve. Notre but est de faire des morceaux efficaces dont les gens se rappellent, et quand ils écoutent un de nos albums, qu'ils puissent se dire "c'est ce morceau là que j'ai préféré sur l'album". Parce que sur des albums de pur Death technique, l'impression d'écouter un seul morceau pendant 45 minutes est assez courante. Ce n'est pas ce que nous voulons pour notre musique.
MI. Par rapport au clip qui est sorti pour "Experience Your Flesh", qu'est ce que l'on doit voir derrière ce "grand écolier" et les différentes visions qu'il a de son institutrice ?
Julien. La principale chose qu'il faut se dire, c'est que le mec assis à table se voit comme un enfant de 7 ans. Et vu son "âge", il n'est pas capable d'appréhender ce que l'approche sexuelle de sa maîtresse peut représenter pour lui. En clair, c'est quelque chose qu'il vit de façon agressive. Il voit ça comme une intrusion et préfère donc rester dans la bulle autistique pour ne pas voir ce qu'il se passe.
MI. Comme d'habitude, on trouve des titres en anglais, mais également deux titres en français sur l'album. En quoi est-ce important pour toi, d'écrire dans ta langue d'origine ?
Julien. Tout simplement, j'aime chanter en français. On est français quoi ! Il y a très peu de groupes de Death Metal qui chantent en français, donc dans ma tête, je ne voyais pas pourquoi nous ne pourrions pas adapter notre langue à cette musique. Et le meilleur, c'est que ça fonctionne.
MI. Tes capacités vocales ont inclus de nouvelles facettes sur ce disque. Comment parviens-tu à être aussi varié, et à aborder autant de chants différents ?
Julien. C'est con à dire comme ça mais en fait, je m'entraîne surtout dans ma voiture. Je suis tout seul, je n'effraie personne mais je prends le risque de passer pour un fou ! [Rires]
MI. Encore une fois, vous avez su vous faire aider par du haut personnel pour Carnivore Sublime. Sven d'ABORTED a encore été impliqué dans cet album pour avoir créé l'artwork. Mais cette fois, vous avez fait appel à un invité plutôt inattendu, en la personne de Niklas Kvarforth (SHINING). Comment s'est conclue cette affaire ?
Julien. Alors tout d'abord, je suis un véritable fan de SHINING. J'adore ce groupe, vraiment. On s'était souvent croisés sur des festivals par exemple, à discuter un petit peu, "bonjour-bonsoir" en gros, ça s'arrêtait là. Nous ne nous étions jamais vraiment posés pour discuter. Nos deux groupes étaient tous les deux chez Osmose Productions à une période. Et donc lorsque nous avons terminé de composer "Spit", on a tous trouvé ce titre tellement malsain et dérangeant qu'on s'est dit que ce serait génial d'avoir Niklas en guest sur ce morceau. J'ai été mis en contact très facilement avec lui par e-mail et il nous a répondu positif. Il est venu de Suède jusqu'en Allemagne pour venir enregistrer avec nous. J'ai trouvé ça génial de sa part ! Il est arrivé au studio, il savait absolument ce qu'il devait poser comme lignes de chant, il a fait ça avec un professionnalisme et une efficacité absolument bluffantes. Et oui, les rumeurs sont vraies, il a réellement imité les râles de quelqu'un qui est en train de mourir en s'étranglant avec sa ceinture. Juste avant de faire cette prise, il nous a dit : "si je tombe dans les pommes, ne vous inquiétez pas, c'est tout à fait normal !" [Rires]. De plus, c'est confirmé, nous tournons le clip de "Spit" avec Niklas au mois de mars. Ca peut paraître bizarre de dire ça comme ça, mais un des facteurs qui fait que nous nous sommes bien entendus lui et moi, c'est que nous avons pu vraiment parler de ses maladies mentales. Depuis, nous sommes très complices.
MI. Pour revenir à l'artwork de Sven, quelle interprétation donnez vous à cette femme tenant un bébé ? Et pourquoi avoir sorti la pochette en deux versions, une relativement soft et une version "gore" ?
Julien. Tout le jeu de l'état limite et de la construction de sa personnalité est fondée sur le "ce que je renvois aux autres et ce que je suis vraiment". La pochette soft, c'est l'image de maman qui prend soin de son bébé. Il y a un côté très pur, mais également les tâches de sang en arrière-plan qui symbolisent le fait que des choses sont cachées. Et la version "gore", ça symbolise le fait qu'en dehors du paraître et de ce qu'elle peut renvoyer vis-à-vis de la société et des personnes de son entourage, elle ne s'en occupe pas et tient la tête de son bébé dans les bras.
MI. Selon toi, y a-t-il un lien avec le fait que Asylum Cave et Carnivore Sublime, sans doute vos deux meilleures productions en terme de son, soient parues sur Season Of Mist ?
Julien. Non, il n'y a pas de lien direct. C'est plutôt dû au fait qu'à présent, nous avons notre vitesse de croisière en studio et nous savons ce que nous voulons et où nous allons lorsque l'on est en studio. On a muri en quelque sorte et nous avons compris que c'était là et là qu'il fallait faire des efforts et ici qu'il ne fallait pas se prendre la tête plus que de raison. Bosser avec Season Of Mist, c'est que du bonheur. On a découvert une équipe géniale, très pro, et à coté de ça, on est devenu de supers potes. On a fêté le nouvel an ensemble pour te dire. Bref, j'aime beaucoup bosser dans ces conditions.
MI. Le groupe a du faire face au départ d'Eric remplacé par Alexis. Que s'est il passé ?
Julien. Alexis a commencé à remplacer Eric à partir de septembre, lorsque son deuxième enfant est né en fait. A partir de ce moment là, c'est devenu compliqué pour lui de gérer tout ça. Eric, contrairement à Liem (ndi : ancien guitariste, parti en 2012) qui a quitté le groupe parce qu'il était arrivé au bout de l'aventure et qu'il ne prenait plus de plaisir avec BENIGHTED, a dû faire un choix très difficile qui lui a vraiment coûté. Il nous a dit qu'il ne voulait surtout pas être un frein ou un boulet pour le groupe, dans la mesure où ses responsabilités familiales passent avant tout, ce que nous comprenons parfaitement. Mais, cela va de soi, Eric reste un ami proche.
MI. L'emploi du temps plus que chargé de Kevin depuis quelques années, ce n'est pas un poids lourd pour BENIGHTED ?
Julien. Non, pas du tout. Kevin arrive toujours à faire ça lorsque BENIGHTED n'a pas d'actualité. Même s'il bouffe à tous les râteliers (ndi : Kevin Folley, batteur du groupe, a effectué des remplacements pour SEPULTURA, DECAPITATED, SABATON, NIGHTMARE...), on reste son groupe "cœur" pour ainsi dire.
MI. Tu as souvent déclaré en interview que le but de BENIGHTED ne serait jamais de vivre de votre musique, et pourtant depuis quelques années, votre popularité ne cesse d'augmenter. Est-ce que tu penses que cela serait dû justement à cette volonté de faire ce qu'il vous plait sans réellement vous soucier de ce qu'en penserait le public ?
Julien. Exactement. Nous ne sommes pas attentifs aux modes, à ce que les gens pourraient attendre de nous, etc. Nous faisons vraiment ce qui nous plaît, et nous avons eu plutôt de la chance pour le moment, car il se trouve que ce qui nous plaît, plaît également au public et surtout, à nos fans. Pour moi, BENIGHTED est un gigantesque bonus, une passion. Lorsque je suis en tournée avec le groupe, je suis en vacances, contrairement à des groupes qui vivent de ça. Et le jour où ça devra être le truc qui me fera bouffer, ce ne sera plus pareil du tout.
MI. Pourquoi ?
Julien. Tout simplement, ce n'est pas fait pour.
MI. Le Metal en général ou bien juste BENIGHTED ?
Julien. Les autres groupes font ce qu'ils veulent. Je vois certains groupes qui auraient notre niveau, notre statut et qui voudraient en vivre. Ceux-là sont obligés de passer dans les mêmes villes, dans les mêmes salles tous les six mois et au bout d'un moment, le public en a marre.
MI. Dans quel état d'esprit abordez vous la tournée à venir avec LOUDBLAST ?
Julien. Tu n'as pas idée à quel point j'ai mal aux couilles tellement j'ai hâte d'y être [Rires]. Plus sérieusement, on a super envie de jouer, ça fait depuis début décembre que nous n'avons pas donné de concert.
MI. En quinze ans, le groupe a toujours gardé sa ligne de conduite, sa violence musicale, ce qui fait de vous sans aucun doute un des groupes le plus extrême de France. Tu te vois encore faire partie d'un groupe de Brutal Death et chanter "Nemesis" et "Prey" dans 20 ans ?
Julien. Oh là ! Dans 20 ans ?
MI. Disons plutôt dans 10 ans !
Julien. Dans 10 ans, ce sera très certainement la fin, parce que c'est plutôt crevant [Rires]. Pour l'avenir, on veut prendre tout ce qu'il y a de bon à prendre. C'est ça que je trouve vraiment cool avec BENIGHTED. Si jamais ça doit s'arrêter, et ça le sera forcément pour de bonnes raisons si jamais ça arrive, nous aurons pris tout ce qu'il y avait de bon à prendre, et ça ne nous empêchera pas de bouffer.
MI. Jusqu'à présent quel est le meilleur souvenir que toi personnellement, tu puisses avoir avec BENIGHTED ?
Julien. T'es chiant avec tes questions [Rires] ! Il y'en a bien trop. Je vais prendre le dernier. Quand Niklas est venu en studio avec nous et qu'il avait fini de poser ses parties vocales, on a fait une bringue dans un resto tous ensemble avec pour objectif "on se met une mine" ! "Bon, vous avez l'habitude de boire les gars ? – Oui oui, t'en fais pas Niklas. Allez, on y va ?" [Rires] On a fini torchés comme pas possible. Niklas et moi étions à la véranda d'un resto en train de discuter et d'un seul coup, il me regarde, il me dit "wait", il se lève, se met par-dessus la véranda, et il a lâché un gros dégueulis sur les voitures d'en-dessous. J'étais à lui taper dans le dos "ouais allez, continue, ça va te faire du bien !" et, une minute montre en main plus tard, j'ai fait exactement la même chose. Niklas en a remis une couche, et résultat des courses, on a dû le porter sur le chemin du retour [Rires]. Oui, c'est pas terrible comme anecdote, je sais, mais c'est le dernier souvenir vraiment marrant que j'ai avec le groupe.
MI. Et bien nous arrivons à la fin. Merci beaucoup, c'était un vrai plaisir. Un mot à rajouter ?
Julien. Merci à toi ! On a hyper hâte de rejouer à Lyon le 28 février, ça fait une paye que nous n'avons pas joué dans le coin. Ca va être orgiaque. On se voit aux concerts !
Ajouté : Jeudi 24 Avril 2014 Intervieweur : Hizia Lien en relation: Benighted Website Hits: 11287
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