On ne connaîtra probablement jamais les raisons qui ont fait d'ENSHADOWED ce qu'il est devenu aujourd'hui. Pourtant, la carrière de ce groupe grec démarre de façon honnête, avec quatre démos (1998, 1999, 2000 et 2001) puis deux albums consécutifs (dont le moyen Intensity paru en 2003). Le prêche black-métalleux de ces garçons est bien huilé. Mieux encore, ENSHADOWED devient avec NAER MATARON une référence dans un pays peu à peu gagné par une vague contestataire. Emergent alors les BURIAL HORDES, DIABOLICAL PRINCIPLES, MORTUUS CAELUM et les éphémères STELLAR DARKNESS, VOMIT CHURCH et autres MOURNFUL NIGHT. Pendant ce temps, les Athéniens perdent de leur aura, rongés par de récurrents soucis de line-up. Pour boucher les trous, ils se contentent de croiser le fer avec MANTAK, THORNSPAWN, VULTURINE, ANGSTRIDDEN et DEVATHORN, au rythme d'un split annuel. Pas assez pour qu'on reparle d'eux. Alors le diagnostic tombe tel un pontage coronarien, au point de se demander si Magic Chaos Psychedelia n'était pas indispensable à la survie d'ENSHADOWED.

Une chose est sûre : il n'était pas indispensable à la notre. L'expérimenté N.E.C.R.O, guitariste, membre fondateur, dernier rescapé de l'enshadowlocauste et donc garant de l'identité musicale du groupe s'est entouré pour l'occasion de Serpent (chant), Golgotha (basse) et d'une vieille connaissance, son ancien batteur Impaler. Du coup, cette alchimie complexe entre sang frais et vieux briscard devait marquer le début d'une nouvelle ère. Penses-tu ! Comme si dix années d'écart étaient insignifiantes, Magic Chaos Psychedelia se place dans le droit sillage d'Intensity. C'est-à-dire un Black Metal bourru, crépitant, cliché jusqu'à l'os mais quand même vaguement mélodique pour faire genre "on a compris qu'on est en 2013". La feinte ne prend pas, et si les efforts d'écriture de N.E.C.R.O se ressentent parfois (comme sur "Black Holes, Death Planets", très bon titre), la plupart du temps, c'est la platitude du riff qui règne en maitre absolu. Néanmoins, si ce troisième album est bel et bien dans la continuité du précédent en terme de pertinence musicale, il est autrement plus intense qu'Intensity (un comble !). ENSHADOWED s'essaye parfois, sans grand succès il faut le dire, à des innovations plus actuelles, comme cette grotesque intro Math / Black Metal sur "Surrealistic Shade Of Color Black" ou plus globalement, à quelques arrangements orientés vers un concept flouté de mysticisme / ésotérisme / psychédélisme ("Inner Psy-Trip"). Je peux comprendre la volonté de brancher cet opus sur courant alternatif pour éloigner le spectre de Messengers Of The Darkness Dawn, mais honnêtement, ce groupe est beaucoup trop ancré dans le fanatisme et l'authenticité pour convaincre avec ses artifices et ses immuables variations rythmiques. C'est simplement de la poudre aux yeux. Par contre, il faut reconnaître qu'avec Serpent, ENSHADOWED a dégoté un chanteur pleinement investi dans son art et qui semble croire en ses propres paroles. Au pire, il dégage du professionnalisme et au mieux, un profond malaise, qui suffit à rendre une piste comme "Magic Chaos Psychedelia" profondément lugubre et troublante. Pour finir, soulignons les présences conjuguées de Geegor (MORTUUS CAELUM) et de Fotis Benardo (SEPTICFLESH) aux percussions. Dommage qu'il faille lire les petits caractères du livret pour l'apprendre.

Sans non plus être une copie conforme d'Intensity, Magic Chaos Psychedelia est relié à lui par certains traits de caractère. Dix ans après, demeurent cette incapacité totale à s'affirmer et cet instinct grégaire qui le pousse à rendre une copie un peu plus mélodique et intellectualisée parce que c'est à la mode. Mais le Black Metal scandinave qu'ENSHADOWED imitait si proprement en 2003, il a toujours la même authenticité en 2013, car c'est une institution qui traverse le temps et que seules quelques exceptions parviennent à honorer. Il y a ceux qui viennent de là-haut et ceux qui viennent de là-bas. Ces Grecs, eux, viennent d'ailleurs. D'un monde où les intentions sont bonnes mais où les actes sont approximatifs, et dans le cas présent, ils le sont depuis bien trop longtemps pour espérer mieux.