Plus fort, plus dark, plus puissant, plus méchant. Voici le troisième méfait des portlandais barbus de RED FANG. Un album monstrueux. Il arrive habillé d'un superbe artwork. Un genre de masque tribal cauchemardesque tiré des songes les plus glauques d'un Arcimboldo fou à lier. C'est une composition de chouettes et renards empaillés, yeux de loup en verre, plumes, dents, crins et cornes diverses. Ajoutez à cela quelques crânes, une vierge qui danse et des amanites tue-mouche, le tout formant un masque monstrueux, sur fonds de forêt primaire sombre et inquiétante. Une pochette comme celle-là annonce qu'on ne va pas beaucoup rigoler. C'est de l'artwork qui parle de marécages, de vaudou, de cris, de souffrance, d'espaces sauvages et maléfiques. Bref, ça annonce la couleur.

Niveau promotion, le pas franchi par RED FANG est également monstrueux. Relapse Records ne s'est pas contenté d'une version deluxe avec trois titres inédits (comme pour Murder The Mountains). En dehors des formats CD, LP et digitaux classiques, Whales And Leeches a été édité dans des éditions Deluxe CD, Deluxe Double Vinyl et Deluxe Digital contenant deux morceaux bonus, un packaging élaboré et une couverture lenticulaire en 3D. Si ça c'est pas du marketing monstrueux !

Mais alors, avec cette pochette et cette promo de la rage, qu'est-ce qu'elle a dans le ventre cette galette ? Et bien, un son monstrueux. Alors qu'il eut été si facile de poursuivre dans le sillon tracé par les deux premiers albums, le gang prend un risque musical mesuré en tournant résolument le dos au volet Stoner un peu gai et entraînant pour se concentrer sur le Sludge. Aron Giles ne renonce pas pour autant au chant, mais exception faite de "Blood Like Cream", un morceau dans la veine de "Hank is Dead" ou "Prehistoric Dog", c'est l'influence dark de Brian Giles qui semble avoir pris le dessus. Si, niveau musique et compos, le groupe avait pas mal progressé entre Red Fang et Murder The Mountain, il décide à présent de fixer son boulot sur l'énergie et la puissance. On laisse tomber une grosse partie des riffs autoroutes et des refrains catchy des premiers projets et on se concentre sur un son qui te balance du béton dans les gencives. Niveau prod et mixage, le combo travaille avec la même équipe que sur Murder The Mountains : le producteur Chris Funk et l'ingé son Vance Powell. Le virage stylistique se traduit par des tempos ralentis, une musique un brin répétitive, des ambiances dark, une voix parfois doublée pour accroître la tension nauséeuse du chant ("Failure"), des bruitages et une ou deux nappes de claviers ("Every Little Twist" et "This Animal"). Tout est mis en oeuvre pour véhiculer une ambiance inquiétante et menaçante, comme le faciès torturé de la pochette. Et pour bien faire comprendre qu'on ne rigole plus, on enfonce le clou en faisant appel à une figure de la scène Doom pour un duo épique. "Dawn Rising" est en effet co-interprété par Mike Scheidt (YOB). La longue chanson de 7 minutes s'ouvre avec un râle agonisant. Aron Beam chante comme on psalmodie une sombre litanie. Il est rejoint par la voix démoniaque de Mike Scheidt, un râle pénible et rocailleux, un peu chevrotant. Les deux chanteurs se partagent le micro avant de se rejoindre en choeur sur un refrain à la fois désespéré et plein d'espoir. Là-dessus, une rythmique de plomb, une batterie au ralenti et ces râles en écho font la transition entre les couplets.

Whales and Leaches n'est pas l'album de la maturité, mais celui d'un revirement. RED FANG nous entraîne vers une univers musical différent, plus dark, mais pas clivant pour autant. Un peu Sludge, mais pas complètement. Une version Sludge à la sauce RED FANG car, comme à leur habitude, nos quatre amis continuent à mélanger les ambiances et ne se laissent pas enfermer dans une petite case.