"Aldo il ne parle pas anglais, mais au moins il a l'accent" (Lino Ventura, l'aventure c'est l'aventure).
Quand on ne parle pas bien anglais, qu'on peine à construire des lyrics un peu intéressants et qu'on le chante avec un accent déplorable, il est parfois plus sage de chanter dans une autre langue. Une qu'on maîtrise. Une dont les accents toniques colleront à la musique qu'on produit. C'est le choix qu'ont fait les cinq barbus de CRAWLING IN SLUDGE. Mais comme on ne fait pas les choses à moitié en Poitou-Charente, ils ont décidé de chanter dans un dialecte local, le poitevin-saintongeais. Il fallait oser. Parce qu'à part un ou deux universitaires blanchis de l'université de Poitiers et une chanteuse régionale, c'est un vocable assez peu pratiqué. Cela dit, quitte à ne pas comprendre, autant que l'accent soit chantant.

Les poitevins n'en sont pas à leur coup d'essai. Avant de fonder CRAWLING IN SLUDGE en 2009, trois des cinq membres du gang ont écumé les scènes de France avec le groupe de Deathcore, INSIDE CONFLICT. Le groupe splite en 2005 et quatre ans plus tard, Dave, Baloo et Dobey s'associent à Tchootch pour former CRAWLING IN SLUDGE avec une volonté de faire une musique lourde et oppressive. Le combo commence par sortir un EP en anglais mais un jour "on s'est dit, pourquoi chanter en anglais et non en langue de chez nous. D'une part, parce que notre anglais n'était pas assez bon ! Mais aussi parce que nous revendiquons notre appartenance à une culture et une langue locale ancrée dans la ruralité, la simplicité, l'authenticité. De plus, le côté "guttural" du patois se marie parfaitement à notre style musical lourd, lent, groovy et mélodique". Convaincus et motivés, trois membres du groupe ont appris à parler le poitevin-saintongeais avec Geneviève Charlot, une chanteuse deux-sevraine. Le premier album, Tarzé a Creva (va mourir!) sorti en 2011 fait parler de lui dans la presse locale généraliste. Pensez donc, à l'ère de la globalisation et de l'anglais omniprésent, un groupe de "Musique Actuelle" qui chante en patois et pousse le perfectionnisme jusqu'à apprendre à le parler, c'est un choix à contre-courant. L'histoire est en marche et le groupe sort cette année un deuxième méfait, Le Dormi Dau Munstre, dans la veine du premier opus. L'album a été financé par une campagne de crowfunding sur Ulule.

Bien que la pochette du disque ressemble à s'y méprendre à celle de Stranger Than Death (BLACK LABEL SOCIETY), la musique du gang n'a pas grand chose à voir avec le Heavy Metal de Zakk Wilde. C'est plutôt à la scène Sludge / NOLA que s'apparentent les poitevins. DOWN, CORROSION OF CONFORMITY, CROWBAR, EYEHATEGOD… Une musique qui sent la vase, la ruralité, les traditions, l'eau croupie et le terroir. Bayou Louisiane - Marais Poitevin, même combat !

Tout au long de ses sept pistes, Le Dormi Dau Monstre balance de la grosse intro grasse, une rythmique down tempo, un son boueux, lourd et puissant. De toutes ses influences, la plus palpables reste BLACK SABBATH, tout particulièrement sur "I Nun" et "Le dormi Dau Monstre" avec sa partition de guitare particulièrement bien foutue. Le chant est effectivement bien adapté au ton. Les vocalises gutturales font comme un grognement en chant clair. C'est une voix grave, grasseyante, boueuse elle aussi.
Malgré toutes ses qualités, l'ensemble manque vraiment de variété. Des morceaux sans concession, bruts de fonderie avec une attaque frontale de la batterie et de la basse, rejointes par la guitare puis par le chant... qui se ressemblent tous. Concernant le chant, même si c'est l'instrument dont la structure mélodique varie le plus d'un morceau à l'autre, l'effet pervers du patois qui demeure incompréhensible pour 99 pourcent des auditeurs c'est qu'il renforce le sentiment d'entendre un peu tout le temps la même chanson.

Malgré son côté un peu répétitif, ce deuxième effort ne manque pas de charme. Un charme certes un peu mastoc, à base d'armoires à glace barbues qui balancent du gros riff boueux, mais un charme qui plaira aux amateurs de Sludge, qu'ils parlent ou non le poitevin-saintongeais.