RÏCÏNN (FRA) - Lïan (2016)
Label : Blood Music
Sortie du Scud : 17 juin 2016
Pays : France
Genre : Experimental Neoclassical
Type : Album
Playtime : 10 Titres - 56 Mins
Il est très rare de se faire embarquer dans un univers musical, surtout lorsque celui-ci a un caractère foncièrement unique et précis.
C'est pourtant ce qui m'est arrivé ce matin, alors que je ne m'attendais qu'à rédiger d'une plume assurée une chronique supplémentaire, sans arrière-pensée. Le choc n'a pas été violent, mais plutôt évolutif, enivrant, envoutant, et l'épiphanie s'est installée discrètement, sans faire de bruit, se lovant au creux de mon âme de musicien séduit par l'univers d'une artiste unique, qui après de nombreuses collaborations a enfin décidé de présenter son propre travail.
Qui se retrouve aujourd'hui sous la forme d'un album unique, dans tous les sens du terme. Permettez-moi de vous présenter son auteur.
RÏCÏNN, comme son nom ne l'indiquera peut-être pas aux profanes, n'est pas un groupe, mais une musicienne, en solo, qui a su au travers des années s'entourer de compagnons de route aussi éloignés de son univers que proche de son sens de l'expérimentation.
En version état civil, Rïcïnn s'appelle Laure Le Prunerec. Ce nom vous est probablement inconnu, pourtant on retrouve cette musicienne au casting de nombre de projets, aussi hétéroclites qu'indispensables, dont le plus fameux reste ÖXXÖ XÖÖX, en compagnie de Laurent Lunoir, et bien sûr IGORR, au sein duquel Laure aura pu exploiter toutes ses capacités vocales au long de litanies éthérées mais aussi de cris cathartiques.
Mais Rïcïnn, dans un désir d'éclectisme s'est aussi incarnée dans le duo ELE YPSIS, plus orienté vers l'électronique et l'orchestral, et aujourd'hui, c'est sous son seul nom qu'elle souhaite retenir l'attention, ce qui ne manquera pas d'arriver lorsque vous aurez écouté ce fabuleux album qu'est Lïan. Pour une fois, il ne sera pas question de styles, d'accroches, de raccourcis de présentation, mais bien d'art, de sensibilité, d'expression et tout simplement de... musique.
Il est très difficile de décrire les morceaux de cet album, qui naviguent au gré d'humeurs, de sensations, guidées par la voix sublime et hors du temps de Laure. Si l'optique classique est privilégiée, on retrouve aussi des traces de Folk, de Dream, et surtout, une atmosphère onirique qui se noue autour des envolées vocales de l'interprète qui nous donne une fois de plus toute la mesure de son talent.
Il n'est pas question de Hard-Rock ici, quoique la puissance des pièces musicales peut rivaliser avec n'importe quel groupe du cru, mais bien de baroque qui ne se veut ni prétentieux ni élitiste, mais sensible, et personnel. Et pourtant, sans nager près des côtes Rock les plus abruptes, Lïan se permet d'en adapter les contours des récifs sur des morceaux comme "Orpheus", qui lors d'un break absolument impromptu délivre une charge tonitruante qui déchire le calme ambiant.
Pour mettre ce projet sur pied, Laure a fait appel à son fidèle complice Stelian Derenne d'ELE YPSIS, qui s'est vu confier la lourde tâche de fouiller dans les immenses archives de matériel accumulé par la compositrice afin d'en retirer de quoi constituer un album.
L'homme a ainsi exhumé des morceaux datés de plus de sept ans, tout en enregistrant de nouvelles compositions sur le moment, avant de mixer le tout pour aboutir à la création de Lïan. Stelian s'est ainsi associé à Aymeric Thomas de PRYAPISME pour créer des nappes d'arrangements homogènes, afin d'uniformiser le tout, en utilisant même des sons ambiant rendus disponibles via la NASA (on en retrouve trace sur le titre "Ohm").
D'autres musiciens ont pris part à l'aventure, tel Vincent Beaufort (batterie) et Anthony Miranda (basse) de CORPO-MENTE, qui sont intervenus sur quelques segments. Selon l'équipe globale, la tâche la plus ardue fut le mixage, durant lequel Stelian du assembler des parties vocales disparates, tout en respectant le désir de l'artiste d'éviter le piège Ô combien fatal du "Metal Symphonique". Et avouons-le tout de go, l'homme a accompli un travail de titan qui rend le plus bel hommage possible au talent de sa vocaliste, qui au travers des dix compositions de ce premier album nous fait voyager dans son univers splendide...
Je ne voulais pas parler de références, et je l'avais précisé en préambule, mais pour vous permettre de vous retrouver dans ce dédale d'informations avant d'en écouter la musique, sachez que vous trouverez des traces subtiles d'ELEND dans ce disque, tout comme des éléments de DEAD CAN DANCE, un peu de DIAMANDA GALAS dans les instants les plus troublés, mais ce ne sont que quelques indicateurs qui ne font absolument pas foi, puisque les volutes vocales de Laure sont absolument uniques en leur genre, tout comme la musique qu'elle a patiemment tissé pour les monter en écrin.
Pas de démonstration vocale abusive, mais beaucoup d'émotions, de trouvailles d'arrangements extraordinaires, une puissance lyrique qui ne tombe jamais dans le tape à l'œil ni le surfait, et bien sûr, des allusions au parcours de Laure, à travers ses multiples collaborations.
Vous passerez ainsi lors des différentes étapes du voyage du Baroque prononcé d'un morceau comme "Lumna", hypnotisant de force et de douceur, avec ses effets de clavecin inquiétants, à la longue suite évolutive "Little Bird" et ses dix minutes qui passent comme dans un rêve, agité de couches sonores graves, de nappes de violons célestes, rappelant de loin les horizons de MIRANDA SEX GARDEN, tout en gardant leur emprunte personnelle fermement enfoncée au creux d'un oreiller de nuit.
On frise parfois la lisière d'un Dream Hop aux guitares ciselées ("Orchid"), et si la plupart des pistes reposent sur un coulis de strates sonores redoutablement bien agencées, certains passages instrumentaux à la trame plus classiquement Rock viennent dynamiser le tout de quelques lignes rythmiques ("Sïen Lïan").
L'aventure se termine par une pièce classique de toute beauté, sobre dans sa grandiloquence, de laquelle s'évaporent des chœurs spectraux ("Laid In Earth "), soutenus par un piano impérial et emphatique. La voix de Laure trouve là l'apogée de sa puissance nuancée, et alterne les caresses vocales et les griffures de l'âme, dans un dernier duo qui achève de transformer ce premier album en voyage intimiste au-delà des frontières musicales les plus convenues.
Un travail faramineux, un résumé de vie, et plus simplement, une musique qui dépasse les clivages de genre, et qui se débarrasse des oripeaux de "normalité" pour plonger dans une sensibilité à fleur de peau. Loin d'un simple exercice de style roboratif, Lïan est un reflet de la beauté faite musique, dont la surface réfléchissante dépeint le portrait d'une artiste esthète, aux nombreux masques qui cachent une nature farouche et sauvage.
Loin de la superficialité d'un "Metal Symphonique" de pacotille, Lïan est une vraie pièce classique traitée comme telle mais animée d'une aura moderne.
Et qui fait plus qu'approcher la perfection, donnée trop subjective pour être employée ici. Qui va au-delà, qui s'en moque et se joue des jugements.
Merci Laure, à toi et à ton équipe pour cette épopée de chambre qui nous offre un panorama de ton propre monde.
Beau comme une nuit étoilée, intimiste comme une conversation secrète, et pur comme l'amour de l'art.
Ajouté : Samedi 07 Mai 2016 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Rïcïnn Website Hits: 11804
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