CARCASS (uk) - Surgical Steel (2013)
Label : Nuclear Blast Records
Sortie du Scud : 13 Septembre 2013
Pays : Angleterre
Genre : Death Grind Metal
Type : Album
Playtime : 11 Titres - 47 Mins
On le sentait bien, sans vraiment le savoir. Depuis sa reformation en 2007, CARCASS écumait les salles, les festivals, et semblait plus en forme que jamais. Et puis, quelle émotion, de revoir Steer et Walker côte à côte, ces deux là ayant tant fait pour le Métal extrême. Je me souviens de ce Hellfest, ils avaient sorti le grand jeu... Tablier de boucher pour Walker, backdrop balançant des images toujours aussi gore, public surexcité, la mécanique s'assemblait, et on ne pouvait concevoir ce retour comme un dernier baroud d'honneur avant la mort clinique effective. Il fallait encore écrire, la légende était belle, mais s'était terminé un peu en queue de poisson. Même un seul chapitre aurait suffit... Et il semblerait qu'ils nous aient entendus. Alors peu importe de savoir si Surgical Steel est/sera ou pas le dernier album de ce groupe unique et irremplaçable, il est là, et rien que pour ça, on peut s'estimer heureux.
Encore faut il qu'il soit à la hauteur des meilleurs LP's... On n’emboîte pas le pas comme ça à Necrotism, Heartwork et Swansong. Revenir pour agiter le spectre du passé dans un dernier souffle putride n'aurait aucun intérêt. Une autopsie se pratique avec professionnalisme de bout en bout. On ne revient pas recoudre le cadavre juste pour y coller ses gants sales... Mais en bons médecins légistes, Bill, Jeff et Dan (ABORTED, TRIGGER THE BLOODSHED, THE ORDER OF APOLLYON, etc...) ont une fois de plus stérilisé leurs instruments, mis leurs masques, et procédé à l'étape suivante avec soin et précision. Et ont fait un boulot propre, rapide, net et sans bavures. Car i>Surgical Steel, osons le, n'est rien de moins qu'une synthèse parfaite de leurs trois derniers efforts, avec néanmoins des accointances plus serrées avec Descanting the Insalubrious, violence contemporaine exige. D'ailleurs, et c'est tout sauf anecdotique, rien que l'énoncé des titres rappelle la jeunesse perturbée du duo infernal. Mais CARCASS n'est pas là pour amuser la galerie ni retomber dans le Grind Gore bouillonnant, ils sont trop intelligents et bons pour ça. Surgical Steel n'est rien d'autre que ce qu'ils sont capables de produire en 2013, sans rien oublier de leur glorieux passé, mais résolument tournés vers l'avenir.
Un mot d'abord sur la production de Colin Richardson. L'homme a su prendre en compte l'aventure des années 80/90, sans stagner dans un bourbier de nostalgie. Son puissant, très, mais clair, guitares affûtées, basse compacte un peu en arrière plan, batterie précise et dynamique, et bien sur, chant guttural extrêmement bien mixé, juste ce qu'il faut en avant pour qu'il domine, mais sans empiéter sur l'instrumentation. Une merveille, presque un cas d'école. En tout cas, l'enrobage qu'il fallait à cet album pour ne pas trahir l'héritage sans pour autant donner l'air de trop capitaliser dessus. Mais que le sac plastique soit solide et flambant neuf est une chose. Que ce qu'il contient soit encore en état de marche en est une autre. Et inutile de gloser, sur onze étapes de ressuscitation, aucune n'est facultative. Loin de là.
Le cadavre discographique de CARCASS était en effet bien gelé. Dix sept ans en chambre froide laissent des traces, et la rigor mortis avait depuis longtemps fait son office. Il fallait avant tout autre processus le réchauffer, pour pouvoir lui redonner un aspect "humain". Ce corps avait beaucoup souffert lorsqu'il était encore en vie, et certains maudissaient même ses dernières années, un peu "tendres" à leur goût. Beaucoup de fans hardcore des débuts n'avaient pas vraiment digéré la fin de vie Swansong, bien éloignée des turpitudes bruitistes des années 85/90. Trop Heavy, trop classique, une pré-retraite incongrue.
Alors Bill, Jeff et Dan se sont donné du mal, et ont planifié leur intervention dans les moindres détails. Il fallait d'abord donner un coup de fouet à ce cadavre sans vie pour lui permettre d'atteindre des températures plus normales, proches d'une fournaise. Ainsi, la première moitié de Surgical Steel atteint des sommets de violence pour envoyer une impulsion électrique massive aux chairs. On retrouve ce Death Grind qui balançait les joules par paquets de 300/350 sur Necrotism, et il n'est pas faux d'affirmer que le matériel utilisé ressemble beaucoup aux pratiques qu'on trouvait sur "Incarnated Solvent Abuse" ou "Corporal Jigsore Quandary".
Même si l'opération débute sans échauffement ("Thrasher's Abattoir", moins de deux minutes pour se préparer à la façon de "Carnal Forge"), "Cadaver Pouch Conveyor System", "A Congealed Clot Of Blood" et "The Master Butcher's Apron" empruntent les compresses, les outils et la façon de s'en servir des praticiens qui sévissaient dans les salles d'opération en 1991... Rythme appuyé et up tempo, breaks à foison, chant grave proférant de sérieuses et fermes invectives, riffs tournoyant, puis plaqués, tout est réuni pour nous rappeler à la mémoire de la médecine légale d'il y a vingt ans.
En guise de thèse/synthèse, "Noncompliance to ASTM F 899-12 Standard" pose toutes les bases déjà jetées sur la table, les analyse, les assimile et les régurgite de façon logique et compréhensive. La rigueur âpre de Necrotism, les interventions mélodiques de Heartwork, avec une très légère touche du Heavy classique de Swansong, en très subtile surimpression. Inutile de nier que le scalpel de nos trois praticiens est toujours aussi précis, et tranche les muscles sans hésitation, sans laisser de marques. Et si Bill a absolument tenu à ce que Dan les accompagne sur cet album à cause des similitudes de son jeu et de celui de Ken Owen, il faut admettre que le guitariste n'avait pas tort. En faire beaucoup, mais pas trop, cavaler mais savoir ralentir, et affectionner certains gimmicks sans les rendre systématiques, tout en s'assurant une trademark indéniable.
La deuxième partie de Surgical Steel se veut plus mélodique, tout du moins en grande partie. Le corps une fois réchauffé à la bonne température a besoin de plus d'attention, de patience, et c'est alors le CARCASS du Heartwork/Swansong le plus fin et racé qui opère. Toute proportion gardée bien sur, puisque la puissance qu'on regrettait sur ce dernier est bien présente ici.
CARCASS joue une fois de plus à mixer ses diverses influences, et s'amuse d'un Heavy mélodique soudain propulsé par des blasts qui tranchent dans le vif, interrompus par un solo comme Michael Amott les affectionne. La fin de l'opération offre le segment le plus long, sous la forme d'une intervention progressive de plus de huit minutes, sans toutefois que la sueur ne perle sur le front de nos chirurgiens.
Avec Surgical Steel, CARCASS prouve de la plus brillante des manières que leur reformation et les concerts/tournées qui s'en sont ensuivis n'avaient rien d'opportuniste ou de déplacé. Et qu'il fallait absolument qu'ils se concrétisent d'une façon ou d'une autre. Les repères sont toujours là, l'envie est plus forte que jamais, et on se retrouve face à ce qui pourrait bien être l'un des meilleurs albums, si ce n'est le meilleur, de leur carrière. En choisissant de ne pas choisir, de rester eux-mêmes, et de piocher dans leur passé sans occulter leur époque actuelle, ils renvoient dans les casiers tous les apprentis praticiens ayant délibérément essayé de copier leur méthode, sans jamais y parvenir. Car CARCASS, en 2013 comme en 1985 ou 1991 est unique. Cette façon de jouer le Death, qui ne ressemble à personne d'autre se retrouve avec un réel bonheur.
Pas de tâche de sang, pas de pinces perdues dans l'abdomen. C'est du travail d'orfèvre, pour qui la mort doit être propre et traitée avec respect. CARCASS, où le Frankenstein des temps modernes, redonnant au monde sa créature la plus hideuse, sous des atours humains. Je propose donc que cet album soit remboursé par la sécurité sociale.
Ajouté : Samedi 07 Février 2015 Chroniqueur : Mortne2001 Score : Lien en relation: Carcass Website Hits: 6824
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